Entretien avec Christine Deschrijver, transgenre: « J’étais tellement mal dans mon corps, que je me lavais dans le noir »

Aujourd’hui, la transgenralité, qui est un questionnement non pas sur sa sexualité, mais sur son identité est globalement évoquée et régulièrement médiatisée. En Belgique, nous pouvons être fiers de dire que nous avons au gouvernement la première femme ministre transgenre d’Europe en la personne de Petra De Sutter, 57 ans. Ceci dit, si nous pouvons tous avoir une définition plus ou moins correcte de la transgenralité, c’est sur le site d’Amnesty International que la définition nous semble la plus idoine :  Une personne transgenre, ou trans, est une personne dont l’expression de genre et/ou l’identité de genre s’écartent des attentes traditionnelles reposant sur le sexe assigné à la naissance.

Aujourd’hui, divercite.be a rencontré pour vous Christine Deschrijver. Cette bruxelloise d’adoption, employée de la société Infrablel, nous raconte son cheminement, ses difficultés, mais aussi son ravissement de pouvoir enfin, à quelques jours de ses 44 ans, être totalement connectée avec les émotions qui l’animent depuis ses 8 ans.

 divercite.be : Christine Deschrijver, parlez-nous un peu de vous, de votre famille ?

Christine Deschrijver : Je suis issue d’une famille de la classe moyenne. Nous vivions avec mes parents dans la région d’Ath, en Wallonie. Une partie de ma famille est néerlandophone et gantoise d’où mon nom Deschrijver. Dans ma famille, certaines femmes étaient particulièrement exceptionnelles comme Honorine Deschrijver, par exemple, qu’on appelait la Coco Chanel du Nord. Elle avait épousé, au début du siècle dernier, Paul-Gustave Van Hecke, marchand d’art et organisateur de festivals de cinéma. Grâce à lui, elle a rencontré de grands artistes de l’époque et a eu une vie extraordinaire. Elle est morte en 1977 à Uccle, un an avant ma naissance.

divercite.be : vous avez connu une enfance heureuse ?

Christine Deschrijver : Oui, tout à fait. Une partie importante de ma famille travaillait dans le milieu médical. Une grand-mère infirmière, qui donnait aussi des cours, ma mère était laborantine, mon père était  infirmier. J’ai baigné dans le milieu médical sans m’y être orienté moi-même.

divercite.be : parlez-nous de ce premier moment où le petit garçon que vous étiez s’est senti féminin ?

Christine Deschrijver : comme je vous le disais, j’ai eu une enfance à la fois belle, mais à la fois compliquée. Vers l’âge de 8 ans, j’ai développé ce qu’on appelle un trouble de l’identité ou une dysphorie de genre. Mais personne n’était au courant. J’ai vécu avec ça très longtemps, en le gardant au fond de moi.

divercite.be : à quoi pensiez-vous alors ? Que vous étiez anormal ?

Christine Deschrijver : Je me souviens m’être dis : « je ne suis pas un petit garçon comme les autres». Je me sentais différent et pas normal ! A l’époque, dans les années 1980, on ne parlait pas de cela comme on le fait aujourd’hui. Je vivais avec un malaise quotidien et je n’arrivais jamais à trouver ma place ni avec les filles ni avec les garçons. Je me suis sentie perdue toute mon enfance et toute mon adolescence sans jamais en avoir parlé à mes parents. Evoquer l’homosexualité était déjà tabou, mais parler d’un truc pareil… je pensais «si je le fais, on va m’enfermer ».

divercite.be : lorsque vous étiez adolescente, connaissiez-vous l’existence de la dysphorie de genre ?

Christine Deschrijver : Non, pas du tout. C’est venu beaucoup plus tard avec Internet où j’ai commencé à chercher moi-même pour tenter de comprendre ce que j’avais. Il se fait aussi que lorsque j’ai eu 20 ans, j’ai rencontré une femme qui est devenue la mère de mes trois enfants et j’ai essayé de refouler ce malaise pour tenter de vivre une vie la plus « normale » avec elle. Nous étions aussi vraiment très amoureux.

Divercite.be : comment vos enfants ont-ils réagi à votre changement de genre ?

Christine Deschrijver : Au début ce n’était pas facile, mais aujourd’hui, ils ont accepté, même si cela reste plus difficile pour l’ainé qui est entré dans l’adolescence.

Divercite.be : vous êtes leur deuxième maman ?

Christine Deschrijver : Non, une maman, il n’y en a qu’une, je suis parent !

 

      « Je n’avais pas une vie d’homme tout à fait normal »

 

Divercite.be : vous êtes toujours mariés ?

Christine Deschrijver : Nous avons divorcé, mais j’ai attendu l’âge de 37 ans pour avouer à mon ex-femme ma transgenralité. Ceci dit, on en avait déjà un peu parlé. Je n’avais pas une vie d’homme tout à fait normal par rapport à plein de choses et notamment à ma vie intime. A un moment, je ne pouvais plus cacher cela. Il fallait que ça sorte.  Nous avons été mariés pendant 17 ans quand même avant que je ne révèle ce qui m’habitait.

divercite.be : Quelles étaient vos attirances sexuelles à l’adolescence ?

Christine Deschrijver : J’étais à la fois intéressée par les filles autant que par les garçons. Pour moi, un homme ou une femme, c’est égal. C’est la personne et sa sensibilité qui m’importent.

Photo Christine Deschrijver
Photo Christine Deschrijver

 

divercite.be : comment se sont passées vos premières démarches après votre coming out ?

Christine Deschrijver : J’ai donc 37 ans et je vais voir une association à Bruxelles. Je prends des renseignements sur Internet et je comprends que c’est la transidentité qui suscite mon malaise depuis l’enfance. Je mets enfin des mots sur ce que je vis et je découvre aussi des personnes qui vivent la même chose que moi. Là, je me dis :« Ok, je ne suis pas seule au monde à vivre cela».

divercite.be : comment a réagi votre femme à ce moment là ?

Christine Deschrijver : Assez mal. c’était un choc ! On avait construit une vie tout à fait standard.  C’était donc un basculement total pour elle comme pour les enfants. La première personne que j’ai contactée, cela a été ma maman. Elle m’a soutenue, mais elle était aussi  un peu désespérée parce qu’elle me disait : « Mais qu’est-ce qui va t’arriver ? »

divercite.be : elle ne s’en est jamais doutée ?

Christine Deschrijver : Jamais, pas un instant ! Mais après cela, tout ce qu’elle a fait pour moi, et encore aujourd’hui, est juste incroyable. Sans elle, je n’y serais jamais parvenue. Son soutien a été total.

divercite.be : comment a réagi votre papa ?

Christine Deschrijver : Après son divorce avec ma mère, il a pris ses distances. On s’est revu lors de ma transformation et il m’a dit : «Tu es une jolie femme, je suis fier de toi ».

divercite.be : Etes-vous allée jusqu’au changement de sexe ?

Christine Deschrijver : Oui, tout à fait ! Mais avant cela, il y a eu tout un parcours avec des psychologues et avec des gens qui n’étaient pas spécialement formés et j’ai donc connu énormément de discrimination par rapport à cela, nous étions alors en 2016. Il fallait aussi l’annoncer au travail et c’était la première fois qu’ils entendaient parler de ça.

divercite.be : les changements se font donc en 2016 ?

Christine Deschrijver : C’est là, en effet, que j’entame le début du parcours. Prise d’hormones, suivi médical… Je vois aussi un psychiatre à un moment pour les opérations parce que c’est obligatoire, mais cela n’a pas duré très longtemps. Pour le corps médical, j’étais une évidence. Mon parcours correspondait tout à fait, il n’y avait pas de maladie mentale, ni de symptômes de schizophrénie ou des choses de cet ordre-là. Le parcours était très cohérent, il n’y avait aucun doute.

divercite.be : mentalement, cette transformation a-t-elle été douloureuse ?

Christine Deschrijver : mentalement, c’est en effet une grosse souffrance parce qu’on se sent différent. Et encore maintenant, je reste différente. J’ai beau faire tout ce que je veux, ça reste encore quelque chose qui m’isole des autres. Dans le milieu professionnel, j’ai fait ce travail avec les collègues, avec le manager… et j’ai fini par me faire respecter totalement comme Christine, femme à part entière.

« On ne change pas son corps comme ça, du jour au lendemain. C’est un très long processus. »

divercite.be : Comment s’est fait la transformation d’un point de vue médical ?

Christine Deschrijver : c’est ’abord une prise hormonale importante qui modifie le corps. C’est très lourd et très difficile et on en prend beaucoup. Aujourd’hui encore, j’en prends parce que je ne peux pas vivre sans cela puisque je ne sécrète plus d’hormones. Je suis en fait une femme ménopausée à 43 ans (rire). Tout cela est évidemment très long. On ne change pas son corps comme ça, du jour au lendemain, c’est un très long processus. Médicalement, on est très suivi parce qu’on devient très fragile. L’espérance de vie diminue aussi. Il ne faut pas oublier que, quelque part, on maltraite son corps. On lui fait faire des choses qui ne sont pas biologiquement normales.

divercite.be : Quels sont les effets physiques les plus pénibles ?

Christine Deschrijvergrande fatigue. Il y a aussi tous ces changements internes au niveau psychologique, au niveau des sensations, au niveau même de la peau. C’est un bouleversement du corps qui est très lourd. Tout le monde ne va pas jusqu’au bout. Il y a des personnes qui s’arrêtent juste à le dire et ne font pas les étapes médicales. Moi, j’avais ce besoin. J’étais tellement mal dans mon corps que je me lavais dans le noir. Je ne pouvais pas voir ce corps. Mon rapport au corps était très cruel. Il y avait là quelque chose qui ne me correspondait pas. Je commence alors les opérations pour que mon corps puisse ressembler de plus en plus à celui d’une femme. Opérations mammaires, mais ensuite, vient la plus grosse opération qui soit, celle du changement de sexe. C’est une intervention chirurgicale extrêmement lourde avec un suivi très lourd également. J’avais l’impression d’être arrivée au bout de ma vie puisqu’on recommence tout avec un nouveau sexe. On doit tout réapprendre. C’est un organe tellement important et quand on n’est pas née avec celui qui nous correspond, les premiers moments sont très difficiles. Aujourd’hui, je peux dire que j’ai une vie libérée où je me sens complètement moi-même. Sexuellement, je ne pourrais jamais affirmer que je ressens les mêmes sensations sexuelles qu’une femme biologique, mais je peux affirmer que j’ai une vie intime complètement épanouie.

divercite.be : au niveau de votre travail, avez vous trouvé le soutien nécessaire et un cadre sécurisant ?

Christine Deschrijverj’ai été engagée en tant qu’ homme et c’est en travaillant pour Infrabel, où je suis toujours, que j’ai fait ma transition. On a mis en place tout un tas de choses. J’ai eu un changement d’état civil complet. Il y a eu pas mal de discriminations, il faut savoir qu’Infrabel, ce sont les chemins de fer. Il y a de plus en plus de femmes qui sont managers maintenant. Des femmes sont sur le terrain et travaillent même sur les rails, ce qui est une belle avancée. On a une hiérarchie qui est très orientée vers la diversité et qui nous accompagne beaucoup. Moi-même, je suis très impliquée dans notre cellule diversité.

divercite.be : Y a t-il quelque chose que vous aimeriez changer en vous ?

Christine Deschrijver : j’ai fait le maximum, je me sens bien dans mon corps. je me sens épanouie. Aujourd’hui, je parle de tout cela avec beaucoup de liberté.

 

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