Le gouvernement fédéral désigne Michaël Privot au sein du nouveau Conseil Musulman de Belgique pour mettre de l’ordre dans l’islam de Belgique

Le Conseil Musulman de Belgique (CMB) sera officiellement lancé le 26 juin prochain. Le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne en rêvait depuis 3 ans, ce sera enfin une réalité à quelques jours de l’été. Ce CMB deviendra dorénavant l’organe représentatif du culte islamique en Belgique pendant 2 ans, avant qu’un organe définitif ne soit livré avec une nouvelle équipe et de nouvelles ambitions.

DiverCite.be a rencontré l’islamologue Michael Privot, l’un des quatre acteurs de cette nouvelle ASBL qui aura pour mission de mettre en place des projets forts mais aussi d’enterrer les liens qui unissaient encore l’État belge à l’Exécutif des Musulmans de Belgique. Celui-ci n’aura finalement jamais répondu aux attentes du Cabinet du ministre de la Justice qui les a privé en septembre 2022 d’une subvention confortable de près de 500.000 euros.

Divercite.be : Michael Privot vous êtes islamologue, vous êtes également auteur de plusieurs livres et vous venez aujourd’hui de recevoir un mandat du ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne pour réfléchir à une nouvelle structure pour encadrer le culte musulman. Pourriez-vous nous en dire davantage ?

 Michael Privot : En effet, je suis le secrétaire de la nouvelle structure qui vient d’être reconnue comme l’organe représentatif du culte musulman, le Conseil musulman de Belgique. C’est un projet qui a commencé il y a bientôt 3 ans. Le ministre avait alors écarté Salah Echalloui pour des soupçons d’espionnage. Il avait à ce moment-là fait appel aux forces vives de la communauté musulmane en disant : «Vous méritez mieux, amenez nous des propositions». Et nous avons été la seule équipe qui était venue avec un vrai projet.

DiverCite.be : Quand vous dites «nous», de qui parlez-vous ?

Michael Privot : Des gens de tous horizons. Plusieurs profils sont aujourd’hui dans notre comité restreint de quatre. Nous avons travaillé sur un projet puis nous l’avons envoyé au ministre pour lui faire part de notre vision et de la manière dont nous voulions l’articuler. Cela s’est fait en trois ans avec des aller-retour avec le cabinet qui avait, il faut le dire, donné beaucoup de chances et de dernières chances à l’EMB qui malheureusement n’a pas été en capacité ou voulu saisir ces chances. Je pense qu’ils étaient dans leur propre logique institutionnelle. Bref, peu à peu, ne réagissant pas aux demandes du ministre de mieux faire travailler la participation des musulmans de Belgique et notamment de travailler sur les ingérences étrangères, le Ministre a jugé qu’il était arrivé au bout de ce qu’il pouvait attendre de cet Exécutif. La reconnaissance a été retirée à l’EMB en septembre 2022 et le Bureau a eu, il faut le savoir, 1 an de sursis pour que quelque chose se mette en place.

DiverCite.be : Quelles ont été vos propositions concrètement ?

Michael Privot : Là pour l’instant, on reprend la gestion du culte au quotidien. Nomination des imams, reconnaissance des mosquées, reconnaissance et nomination des enseignants, des aumôniers, des inspecteurs… mais en plus, nous avons la mission importante de mettre sur pied un organe définitif. Nous ne sommes, à notre niveau, qu’un organe temporaire. On a demandé 2 ans pour accomplir notre mission. La deuxième mission après la gestion quotidienne est de mettre sur pied une consultation efficace qui fasse émerger des formules qui soient susceptibles de rencontrer l’aval du plus grand nombre de structures musulmanes au sein des communautés de Belgique. Une fois que l’Organe définitif sera mis sur pied et notre mission accomplie, nous laisserons les gens travailler et partirons.

DiverCite.be : Votre structure va-t-elle-recevoir les mêmes montants qui étaient alloués à l’EMB ?

Michael Privot : Oui ! Les financements étant déjà arrêté, l’ASBL Conseil Musulman de Belgique va  recevoir la même subvention que l’EMB. L’Arrêté est publié et nous pourrons officiellement commencer le travail le 26 juin prochain.

DiverCite.be : Comment comptez-vous travailler avec toutes les communautés musulmanes de Belgique quand on connait la difficulté de les fédérer ?

Michael Privot : Cela fait partie de l’engagement que nous avons pris. Contrairement aux structures qui tenaient l’Exécutif et qui ont tout verrouillé comme la Diyanet, qui représentait la Turquie, le Rassemblement des Marocains de Belgique qui représentait les autorités marocaines (généreusement subsidié) et Milli Görüs très aligné sur la Diyanet. Ces structures étaient celles qui verrouillaient l’ensemble se positionnant dans une démarche de quasi-monopole, prenant les décisions dans un entre-soi sans consulter forcément les autres structures. Pour nous, le point de départ, c’est de dire que tout le monde sera sur le même pied d’égalité.

On commencera par une phase de consultations et de rencontres des structures musulmanes. Pas seulement des mosquées, mais aussi des enseignants de religions islamiques, des imams, des aumôniers… On leur demandera de proposer des choses et de déléguer des représentants. Une commission élargie qui aura pour mission de commencer à travailler afin de préparer des solutions. Cela se passera en deux  phases. L’ automne sera  assez intense en consultations. Ce processus permettre aussi un renforcement des liens avec ce nouvel organe que nous mettons sur pied et les différentes communautés. Beaucoup s’étaient jusque là sentis exclus.

DiverCite.be : Par le fait même de la manière dont gérait l’EMB le culte musulman ?

Michael Privot : En trois ans de tempête au sein de l’Exécutif des Musulmans de Belgique, il faut savoir que personne n’est venu à son secours. Personne n’a voulu se mouiller pour une équipe reconnue pour son incompétence. Tout le monde était dans un « Wait and See », on verra bien ce qui va arriver. Les seules organisations qui sont montées au créneau sont le Rassemblement des Marocains de Belgique, Milli Görüs et la Diyanet qui évidemment défendaient leur bifteck. Nous concernant, nous commençons à avoir des messages de soutien d’unions de mosquées par exemple qui nous disent: «Nous, on veut bien donner sa chance à cette nouvelle formule».

DiverCite.be : Parlez-nous des membres de ce Conseil Musulman de Belgique ?

Michael Privot : La présidente est une jeune musulmane anversoise Esma Uçan (directrice des opérations dans le secteur privé, actrice importante dans la société civile islamique), le Vice-président  est  le Bruxellois Taha Zaki, délégué par l’Union des Mosquées de Bruxelles, le trésorier est le Vilvordois Mimou Aquichouh, Président de la Fédération des Mosquées de Flandre qui rassemble 90 mosquées en Flandre et moi-même bien sur.

DiverCite.be : Vous êtes au début du travail, les premières consultations vont commencer à la rentrée, quel est le travail qui sera fait avant cela ?

Michael Privot : Réaliser un inventaire de ce qui se passe. L’EMB avait une boite noire pour toutes les raisons que nous connaissons et notre rôle avant tout est de faire un bilan de ce qui a été fait. Quels sont les processus de nominations en cours ? Cela correspond-il aux critères de transparence et de gouvernance que nous sommes en droit d’exiger ? Si oui, tant mieux on continue, sinon, on arrête et on recommence. Si des nominations sont en cours, mais que nous estimons qu’elles n’ont pas été faites de manière correcte, on les casse et on reprend le processus à zéro. On sera extrêmement vigilants.

DiverCite.be : Vous avez le soutien total de Vincent Van Quickenborne ?

Michael Privot : Oui, absolument !

DiverCite.be : Il ne fera pas d’ingérence en exigeant des comptes rendus réguliers ?

Michael Privot : Il nous fait totalement confiance. Évidemment, par principe de bonne gouvernance, nous travaillerons main dans la main pour faire avancer les dossiers.

DiverCite.be : Le fait que vous soyez tributaires d’une subvention étatique ne vous oblige-t-il pas à répondre à ses propres exigences ?

Michael Privot : Il ne nous a rien demandé en termes de contenu, ce qu’il veut c’est un processus. De la transparence, de la bonne gouvernance, que les femmes soient impliquées. Mais nous l’aurions fait même sans cela. Nous avons déjà une femme comme Présidente et ce n’est pas le ministre qui nous l’avait demandé. Et puis aussi l’une de ses demandes était de travailler sur les ingérences étrangères, mais là aussi c’était une évidence pour nous. Autre vision commune avec le ministre : la prévention contre la radicalité, prévention contre les discours haineux, discours séparatistes, etc.

DiverCite.be : Avez-vous aussi la mission de gérer la Grande Mosquée du Cinquantenaire ?

Michael Privot : C’est un de nos souhaits, mais le dossier est beaucoup plus complexe juste d’un point vue légal. Beaucoup d’associations sont impliquées. L’ancien Exécutif avait délégué une association pour la gérer. On doit attendre de voir si le Cabinet compte débouter cette association et nous demander de reprendre la gestion. Nous avons en tous les cas exprimé notre envie d’être impliqué et reprendre le dossier pour remettre en ordre ce bâtiment qui est dans un état déplorable. Mais aussi reprendre les mandats de l’Exécutif donnés dans différentes structures comme par exemple l’Institut de Promotion des Formations sur  l’Islam (l’IPFI). Nous contacterons d’ailleurs le dès le 26 juin le ministre compétent (ndlr Valérie Glatigny) pour lui dire que nous sommes maintenant le nouvel organe représentatif du culte musulman et que les sièges dévolus à l’Exécutif, nous les reprenons. Nous y mettrons des gens compétents et mettrons un terme à la politique des petits copains.

DiverCite.be : Vous vous êtes engagés avec Esma Uçan,Taha Zaki et Mimou Aquichouh à ne pas siéger au sein de l’organe représentatif une fois qu’il sera mis sur pied dans 2 ans ?

Michael Privot : Dans les statuts de l’ASBL, nous avons bien précisé que dès l’instant où l’organe définitif est mis en place par notre Conseil, l’ASBL sera dissoute. On a pris l’engagement qu’aucun de nous ne se présentera pour un siège dans le prochain organe. C’est une garantie que nous avons donné et nous ne sommes pas là pour dire après «On n’a trouvé personne, on reste..».

DiverCite.be : N’avez-vous pas peur qu’une fois votre Conseil Musulman de Belgique sur les rails, les mêmes erreurs se reproduisent ?

Michael Privot : C’est un risque ! Nous ne sommes pas naïfs. C’est certain que la Diyanet et le Rassemblement des musulmans de Belgique ne vont pas désarmer. Il conviendra de mettre en place des formules de contre poids pour éviter que des structures affiliées à un pays tiers viennent à nouveau à imposer leurs volontés à tous les autres – la commission chargée de faire des propositions devra être attentive à cela. On donnera un cadre, mais il faudra que ceux qui y travaillent soient vigilants.

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