
Noureddine Frid est un homme discret. Pourtant, cet ingénieur de formation, à la fois Belge et Marocain, n’est pas une personnalité ordinaire. Inventeur, créateur, doté d’une imagination singulière, il a mis ses talents à la disposition de la recherche médicale, il y a plus de 20 ans. Son œuvre majeure : la mise au point d’une plate-forme technologique permettant de produire, grâce à une machine à tisser, des stents (1) multicouches pour répondre à différentes applications cardiovasculaires. Tout un programme !
Entretien
DiverCite.be : Noureddine Frid, d’où êtes-vous originaire ?
Noureddine Frid : Je suis né à Tiflet au Maroc dans un petit village du pays berbère de Zemmour. Tiflet se situe à une heure à l’est de la ville de Rabat sur la route de Fès. J’ai fait ma scolarité primaire et secondaire jusqu’au Baccalauréat à l’école publique. En 1980, j’ai rejoint l’institut d’état des hautes études d’ingénieur de Bruxelles où j’ai commencé mes études de chimie industrielle.
DiverCite.be : Pourquoi avez-vous choisi de vous consacrer à la recherche médicale ?
Noureddine Frid : En 1988, j’ai rejoint la société américaine Corvita qui développait des pontages (artères artificielles) qui remplacent le manque de circulation du sang dans les artères bouchées. En tant que développeur, on m’a offert la possibilité d’accompagner quotidiennement le Professeur Jean-Pierre Dereume, aujourd’hui décédé, qui était chirurgien vasculaire à l’hôpital Érasme et j’ai ainsi assisté à des opérations chirurgicales de pontage sur les artères des membres inférieurs.
En observant la lourdeur de la procédure chirurgicale – nous sommes alors au début de l’année 1990 – j’ai proposé au Professeur Dereume de faire un ré-engineering de la technologie du pontage en un dispositif moins invasif. Le but de ce type de procédure a pour objectif d’éviter au patient les lourdeurs chirurgicales.
Malgré la réticence et la résistance des chirurgiens quant aux succès de la technique, j’ai pu développer un premier stent-couvert pour traiter les anévrismes des gros vaisseaux de l’aorte. Ce dispositif développé a abouti à deux brevets d’invention qui ont marqué une nouvelle voie dans le traitement mini-invasif. Très tôt, Pfeizer, à travers sa filiale suisse, Schneider de l’époque a acquis la société Corvita à 96 millions de $. Nous sommes alors en 1996.
DiverCite.be : Vous êtes à la base du premier stent dit intelligent, tressé auto-expansible?
Noureddine Frid : Dans le développement des techniques mini-invasives pour le traitement des pathologies artérielles, j’ai en effet mis au point pour la société Medicorp en France le premier stent tressé intelligent, dit à mémoire de forme pour le traitement de la sténose (rétrécissement de l’artère) de la carotide. Cette technique a ouvert une nouvelle voie vers le traitement endovasculaire de la carotide qui remplace la chirurgie.
DiverCite.be : Cette technique est-elle courante aujourd’hui ?
Noureddine Frid : Par rapport au traitement de la chirurgie classique, ces dispositifs présentent une avancée technologique et thérapeutique incontestable, ils font partie de l’arsenal thérapeutique.
Par leur structure, ils ne peuvent pas être utilisés pour traiter les anévrismes ou les dissections dits complexes, comprenant des branchements qui alimentent les organes vitaux comme les reins, le foie, le cerveau, etc.
Ces pathologies n’avaient pas vraiment de solutions thérapeutiques valables, car ils s’accompagnent de sérieuses complications : les paraplégies, les attaques cérébrales, les insuffisances rénales, pulmonaires et autres.
Lors de mes recherches sur les pathologies artérielles, j’ai compris que l’aggravation et la destruction de la paroi des anévrismes et des dissections sont dues à la turbulence du flux sanguin dans la partie malade dilatée. La turbulence crée un surplus de pression permanent local qui agit à chaque battement cardiaque. La question complexe que je me suis posée est la suivante : comment éliminer la turbulence ? Et est-ce que son opposé, la lamination du flux, peut éliminer cette pression liée à la turbulence ?
DiverCite.be : Comment cette idée vous est-elle venue ?
Noureddine Frid : Lors d’une visite au Musée du Louvre d’Abu Dhabi, j’ai découvert que ce principe unique était utilisé dans sa conception et sa construction. Elle est constituée d’une immense coupole faite de huit couches superposées avec des motifs à géométrie complexe par superposition, répétés avec différentes dimensions et angles.
Les rayons du soleil traversent les couches de la coupole et s’orientent en lignes droites à travers les couches en formant un flux laminaire de lumière. Le but est que le laminage rafraichisse l’espace pour les visiteurs, comme un microclimat, et protège l’esplanade intérieure contre la chaleur en réduisant la consommation énergétique.
Ce principe est similaire à la fonctionnalité du dispositif, il permet de convertir le flux turbulent en flux laminaire, dans l’anévrisme et dans la dissection, en lamination. Ce concept, j’ai essayé de le traduire dans une invention à usage thérapeutique des maladies artérielles dont les conséquences sont désastreuses. L’invention consiste en un dispositif à plusieurs couches interconnectées formant une structure tridimensionnelle.
DiverCite.be : Et comme il n’existe pas d’équipement pour réaliser ce type de tresse tridimensionnelle complexe, il était nécessaire de développer une machine qui permet de réaliser ce dispositif ?
Noureddine Frid : Exactement. À ce jour, ce dispositif représente un changement de paradigme dans le traitement des pathologies artérielles et présente une solution globale pour tout le réseau artériel. Il est destiné à traiter les maladies artérielles à savoir, les anévrismes (localisés dans la tête, dans l’aorte et les membres inférieures), les dissections aortiques et les sténoses des membres inférieures.
DiverCite.be : Revenons un peu en arrière, vous avez connu des moments difficiles lorsque vous avez quitté Cardiatis, l’entreprise que vous aviez fondée ?
Oui et non dans la mesure où ce départ a été mon choix, car il y a toujours des gens qui pensent faire mieux, mais c’est au pied du mur qu’on reconnait le maçon. De toute façon j’ai mieux à faire avec mon nouveau projet qui changera la thérapie des accidents vasculaires cérébraux (AVC)
DiverCite.be : Cette société est votre œuvre, qu’est ce qui peut amener à se retirer d’une entreprise qu’on a créée et qui marche ?
Disons que cela relève de différents avec certaines personnes. Un nouveau management a été désigné après mon départ et le nom de la société a aujourd’hui changé et est devenu Intressa Vascular. Ce changement de nom avait pour but de faire table rase du passé, mais la fonctionnalité du produit reste la même. Chez Cardiatis, et aujourd’hui Intressa j’ai encore des parts importantes. J’aurais pu rester pour les défendre au jour le jour comme manager, mais j’ai préféré passer à autre chose.
DiverCite.be: Nous sommes alors en 2016 ?
Exactement. J’ai senti à ce moment-là un conflit sur le point de naitre. Il y a eu un rapport de force entre actionnaires sur le contrôle de la société. Parallèlement, j’avais dans la tête un autre projet. Je suis donc allé voir le conseil d’administration en leur disant « j’ai une nouvelle idée. Pensez-vous que nous puissions la développer au sein de Cardiatis ? ». J’ai ajouté « c’est un projet encore plus important que ce que nous avons fait jusqu’à aujourd’hui ». J’ai essuyé un refus et suite à cela, j’ai demandé à ce que ce refus soit bien acté noir sur blanc dans un PV du CA qui stipule que ce nouveau projet n’aurait aucun lien avec Cardiatis.
Parallèlement, j’ai donc monté une nouvelle boite en me disant « si les choses périclitent, j’aurais toujours la possibilité de développer une nouvelle approche thérapeutique dans une nouvelle société». Elle s’appelle FridMind Technologies et vise à prévenir les AVC.
Aujourd’hui, je cours le monde pour trouver de nouveaux financements et j’y crois comme j’ai toujours cru à tous mes projets. Les premières investigations me le confirment.
(1) Un stent est un minuscule tube expansible qui maintient l’artère ouverte