À travers ses portraits colorés, le photographe belgo-marocain Mous Lamrabat révèle la complexité de ce que nous portons et le pouvoir unificateur de l’expression.
En marchant dans le cœur Bruxelles, il est impossible de rater l’exposition de Mous Lamrabat, A(R)MOUR. Un néon rouge, illuminant le mot Amour en arabe, éclaire la fenêtre d’entrée du MAD, l’incubateur de talent de la ville pour les créateurs et créatrices de mode locaux.
L’accueil des visiteurs est agrémenté d’un panel coloré de keffiehs palestiniens dont chacun est orné d’images imprimées de Lamrabat. Sur le sol, un tapis rond avec le mot « A(R)MOUR » gravé en lettres blanches, comme une invitation à entrer dans l’univers fantastique de l’ artiste. Le mot joue habilement avec une double signification.
« Amour » qui, en y ajoutant la lettre R, se transforme en autre chose. « Le mot présente des opportunités pour les gens », explique Lamrabat. « il est ce à quoi ils ressemblent, c’est leur armure, leur protection pour gérer leur solitude ou avoir l’air durs ». Présenté de cette manière, cela donne aux gens l’opportunité de se débarrasser de leur « armure » et de faire place à l’Amour.
Le spectacle est une immersion totale dans un monde de couleur, d’ amour et de puissance des vêtements comme protection et expression de soi, invitant les spectateurs à remettre en question les idées préconçues et à manifester la diversité. Lamrabat révèle comment un fez, un niqab, un keffieh, une casquette de baseball ou un logo peuvent raconter une histoire sur sa personnalité. Chaque vêtement ou accessoire représente un bouclier qui reflète des identités à multiples facettes, un rappel que les différences peuvent aussi unir les gens.
Lamrabat y présente 81 œuvres, incluant des photographies anciennes et nouvelles. Alors que certaines des photos les plus anciennes ont été prises dans des endroits désertiques allant de la Namibie aux Émirats arabes unis, pour les nouvelles commandes de MAD, il s’est inspiré de lieux à Bruxelles qui évoque des souvenirs du Maroc, où il est né. Lamrabat a commencé sa carrière comme photographe de mode autodidacte après avoir étudié la décoration d’intérieur. Son héritage marocain joue un rôle important dans son art et, en tant que défenseur des femmes musulmanes qui portent le voile avec fierté, il a courageusement mis le niqab sur les couvertures des magazines de mode internationaux. Ayant grandi dans la partie flamande de la Belgique, Lamrabat a vu de ses yeux comment les gens regardaient sa mère voilée. Cette expérience a laissé une impression durable, le conduisant à essayer de créer un monde où prévalent l’empathie et l’acceptation.
Le développement vers lequel il tend s’’éloigne des méthodes d’affichage traditionnelles, pour cela, il utilise des images mise à l’avant contre les rideaux imposants qui divisent l’espace. Ces tissus transparents et colorés de l’artiste français Justin Morin, interagissent avec les photographies de Lamrabat qui, en collaboration avec la styliste Lisa Lapauw, a placé des mannequins assis sur des canapés de style marocain ou debout devant des tuiles colorées rappelant l’Afrique du Nord.
En collaboration avec des talents locaux, il mélange les esthétiques arabes et occidentales pour créer un espace utopique qui transcende les divisions culturelles. D’une femme portant un voile bleu clair et des bijoux en lunettes conçus par Anneleen Bertels, en passant par un modèle en bottes en céramique fabriqué par la créatrice Naomi Gilon, un monde particulier émerge.
Il y a aussi des collaborations avec les designers Siré Kaba, aux racines guinéennes, Kasbah Kosmic de Kenza Taleb Vandeput, qui fait le pont entre la Belgique et l’Algérie, et le designer textile Shishi San, dont les vases colorés sont également présentés, ainsi que d’autres créateurs vivants en Belgique.
Doué pour transformer les portraits en œuvres d’art, Lamrabat intègre des éléments inattendus, juxtaposant des motifs traditionnels et contemporains. Selon Dieter Van Den Storm, directeur de la création chez MAD, « le travail de Lamrabat va au delà des éclaboussures de couleurs et d’images stylisées pour explorer une vision du monde différente, à plusieurs niveaux ».
Certains peuvent qualifier l’artiste de provocateur pour ses images qui suscitent la réflexion et défient de manière créative nos valeurs culturelles, mais pour Van Den Storm, Lamrabat est un « précieux bâtisseur de ponts entre les générations et les cultures ».
Le photographe montre un grand intérêt pour les phénomènes de lumière naturelle, en particulier l’ « heure bleue« . D’une durée d’à peine 10 minutes avant le lever ou le coucher du soleil, cette période transforme le ciel en teintes indigo.
Dans ce laps de temps, Lamrabat a choisi une série de quatre portraits de figures qui émergent dans une atmosphère surréaliste. L’heure bleue révèle un contraste de couleurs qui autrement resterait invisible, permettant à Lamrabat de révéler ceux qui sont souvent négligés par la société.
Le travail de Lamrabat se caractérise également par une attention délicate aux détails. Ses compositions élaborées avec soin transforment les vêtements en œuvres d’art et les modèles en sculptures vivantes qui occupent le devant de la scène dans une élégante simplicité. Mais il peut aussi être subversif, comme lorsqu’il remet en question les rôles traditionnels de genre en présentant un homme dans une pose ou une tenue traditionnellement féminine, par exemple. Avec une dose de jeu plus que nécessaire, Lamrabat encourage un monde plus diversifié de la photographie qui amplifie les voix marginalisées et redéfinit les notions de beauté et d’identité.
du 9 juin – 2 septembre : A(R)MOUR de Mous Lamrabat
L’exposition a lieu au MAD Bruxelles: Nieuwe Graanmarkt 10, 1000 Bruxelles. L’exposition est ouverte gratuitement au public du mardi au samedi de 11h à 6h.
Cet article est la version française, d’un article paru en anglais dans le média en ligne CANVAS – Premier contemporary art magazine in the Middle East
Ode à l’amour : Mous Lambrabat au MAD – Toile (canvasonline.com)