Repose en paix JABER…

Universellement reconnu dans le monde de l’art brut, Jaber al Mahjoub, peintre tunisien décédé le 21 octobre à Paris, a rejoint son pays natal. Cet homme aux multiples talents et au destin rocambolesque a pu être rapatrié, en Tunisie pour reposer en paix à M’ Saken.

Né le 5 janvier  1938, de père arabe et de mère berbère, Jaber Majoub, est privé de son père dès l’âge de deux ans: celui -ci a quitté le foyer pour gagner sa vie en montagne. A trois ans, Jaber perd sa mère. Placé à Sfax dans sa famille, ballotté de foyer en foyer, le petit orphelin doit très tôt gagner sa vie comme berger.

Il quitte l’école à huit ans, sans avoir eu le temps d’apprendre à lire.

A dix ans, il s’enfuit sur une bicyclette à Sousse. A douze ans, il fugue sur un petit âne et subsiste en vendant du thé et du sucre. On retrouvera souvent ce petit âne dans ses œuvres. A quinze ans, il part à Tunis, devient boulanger à la Goulette chez Mimoun. Il récupère le charbon de bois pour dessiner les animaux qui ont bercé son enfance.

Lorsqu’il atteint 18 ans, il s’embarque pour Marseille et rejoint Cagnes sur Mer. Deux ans plus tard, on le retrouve à Paris, boulanger chez Finkelstein, dans le Marais, rue des rosiers. Il se fait remarquer en sculptant dans le pain des fleurs, des oiseaux ou des poissons. Il commence à peindre des petits formats qu’il vend aux touristes dans la rue. Beau garçon, il séduit par sa grande personnalité et complète ses revenus en étant boxeur chez Monsieur Koulou à la Bastille ou dans les salles de St Denis où il fait un peu le clown.

Il devient aussi chanteur, fait la rencontre de Coluche avec qui il monte des sketchs. Dans la foulée, il enregistrera quatre disques comme chanteur et fantaisiste sous le nom de Jabeur. Sur l’une des pochettes, il pose en boulanger , sur l’autre à côté de Muhammed Ali !

Sa personnalité d’homme-orchestre le rend déjà célèbre à Paris: Musicien, boulanger, boxeur, peintre, sculpteur…

Dans les années 1970, il part avec sa conquête Gail Kunderman aux Etats Unis et l’épouse le 5 janvier 1971 , le jour de ses 33 ans ! Deux ans plus tard, il reprend sa vie de célibataire et parcourt le Canada, le Maroc, la Tunisie , la France ou l’Arabie Saoudite en donnant quelques spectacles. Il ancre sa vie de saltimbanque à Beaubourg et devient un personnage incontournable de la piazza où il amuse le public et vend ses peintures aux passants à même le sol.

Il intrigue quelques galeristes du quartier qui commencent à acheter ses œuvres.

Madeleine Lommel prend l’initiative de le signaler à Jean Dubuffet qui, intéressé par Jaber, souhaite acquérir des peintures pour les intégrer à sa collection du Musée de Lausanne. La rencontre décisive en 1982 avec Céres Franco, qui dirige l’Oeil de boeuf au 58 de la rue Quincampoix, va accélérer sa médiatisation: Jaber expose du 4 au 23 juin à l’Oeil de boeuf, dans son quartier préféré, et y sera exposé de façon permanente.

D’autres galeries lui ouvrent leurs portes : Jacques Karamanoukian à Ann Arbor ( aux Etats Unis) , Michèle Sadoun à Paris, Hervé Haussant à Rennes, Jean Mathieu à Vallauris, Espinosa, Pierre Farro à la Gaude, Joseph Scavongelli (rue Quincampoix puis à Rome) Michel Ray à Beaubourg et à Bruxelles. Jaber travaille nuit et jour : on estime à environ 100 000 le nombre de ses peintures et on ne compte pas ses sculptures !

Il traverse une période plus difficile ou la crise de l’art force certaines galeries à fermer. Jaber ne cesse pas de peindre pour autant et même si la musique compte tout autant pour lui, il  continue à nous étonner par sa production très féconde.

En Tunisie, déjà  très populaire comme musicien, il se fait connaître pour ses œuvres plastiques et
expose régulièrement l’été.  A 80 ans, il est connu et exposé dans les plus beaux musées du monde. Malgré sa célébrité, Jaber est resté jusqu’à la fin un homme simple et sobre. Il offrait avec générosité certaines de ses peintures aux passants, sans se soucier du prix atteint par ses œuvres.

Tour à tour silencieux et concentré quand il peignait , mais toujours jovial et expansif en public, il cloisonnait ses relations. Sa brusque disparition est un choc pour tous ceux qui l’aimaient.

Heureusement, reste son œuvre, splendide, spontanée et  ensoleillée, terriblement attachante pour nous consoler. Le roi de Beaubourg n’avait qu’une obsession: offrir du bonheur à tous.

Catherine Belkhodja

L’exposition JABER à la Fabuloserie a été prolongée jusqu’au 21 novembre 2021. Paris 75006

Belleville galaxie exposera Jaber fin 2021 chez GEPETTO vélo premier étage.( first floor).Paris 75005
Exposition permanente prévue à la Halle st Pierre en 2022. Paris 75018
Grande exposition JABER au Palais de la culture de Tunis prévue en 2022.

Livres
JABER, Bonheur pour tous
de Laurent Lefebvre ( Area: Alin Avila) ISBN 978-2-35276-122- 8 (22 euros)
JABER al Mahjoub ( épuisé, en cours de réédition) Lelivred’art ISBN 978-2-35532-314-0 ( 35 euros)
Au pays des 1001JABER, de Pascal Bello à paraître en 2022 chez galerie Bel air.

 

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2 commentaires sur « Repose en paix JABER… »

  1. Quand pour la première fois j’ai rencontré Jaber c’est chez Céres FRANCO en 1982 , il venait également chez Alix LEMARCHAND galeriste et marchande de fournitures au quartier de l’Horloge chez qui il venait acheter des fournitures et en même temps donnait généreusement ses oeuvres don j’ai pu bénéficier . Son coté attachant dans un sourire permanent lui faisait dire en toute humilité  » analphabète mais pas bête  » Paix ait ton âme  » bonhomme.

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