
Inutile de revenir ici sur ce que le monde entier observe depuis le 7 octobre dernier. Inutile d’évoquer l’écœurement que suscite une partie des éditocrates de la presse française dans leur traitement de l’information. Inutile de relever la lâcheté, oui, la lâcheté des gouvernements occidentaux, mais aussi arabes, qui regardent leurs lacets défaits pendant que nos altérités humaines meurent pour cause d’acharnement jusqu’au-boutiste d’un chef d’État israélien en manque de sommeil qui justifie, inlassablement devant un micro, pourquoi il doit tuer des innocents.
Chaque nation porte sa part de responsabilité …. par son soutien ou son mutisme … sa mésestimation du drame palestinien depuis des décennies ou par une certitude d’une « évaporation » possible de la cause avec le temps. Et puisque nous sommes en Belgique francophone généralement attentifs aux soubresauts des médias français, parlons en.
La France n’hésite jamais à rappeler la hauteur stratosphérique de ses valeurs héritées du siècles des Lumières. Cette même France, à travers ses voix médiatiques autorisées, ici se plie. Ses élites les plus brillantes baissent l’échine, victimes depuis le 7 octobre 2023, d’une désensibilisation, d’une perte de la mémoire immédiate, de cécité sélective. Tout se justifie sans vergogne, sans compassion, sans contextualisation. Les livres d’histoire que nous lisions et qui nous narraient des crimes de guerre abominables, nous les pensions le fait d’une autre époque, révolue, connue par des hommes et des femmes qui ne mesuraient pas, comme nous le mesurons, le prix de la valeur humaine.
La France a déclaré un soutien inconditionnel à Israël. La tuerie du 7 octobre est certes infâme et barbare. Compatir aux massacres qu’a connu l’État hébreu est une chose, lui accorder un blanc-seing inconditionnel en est une autre. La presse française est froide et partisane. Les journalistes marchent au pas et tels des procureurs auto-proclamés veillent à redresser tout discours nuancé, équilibré, pondéré qui pourrait donner l’impression d’un début de compassion pour le peuple palestinien. La communauté des citoyens, la République toute entière, se fracture. Si elle unit encore en droit, elle sépare le corps social sur une étrange échelle de la dignité.
Les mots ont leur importance nous rappellent les gardiens du vocabulaire français sur les plateaux des chaines d’information continue. Un génocide est une volonté consciente d’exterminer un peuple avec des moyens massifs. Le flicage de la pensée fonctionnant à plein régime, laissons alors les mots qui fâchent de côté et inventons celui qui peut décrire les actes volontaires d’un État de tuer un peuple démuni avec des centaines de frappes journalières sur un territoire de 365 km 2. Mais, soyons de bon compte, l’affaire qui se joue sous nos yeux est évidemment moins une question sémantique que de protection des valeurs humaines les plus fondamentales.
Se pose aussi la question du silence des intellectuels et de la déroute morale de quelqu’uns. Que dire du renoncement et de la faillite intellectuelle de personnalités comme Michel Onfray qui trouve des justificatifs aux crimes de guerres de l’armée d’Israël ou Caroline Fourest qui fait une différence ignoble entre les intentions, question inutile et dangereuse. Elle nous dit que les intentions, donc la vengeance, sont légitimes et est moins barbare que de tuer en appuyant sur un bouton. Autre observatrice « avertie », Céline Pina, invitée sur un plateau d’une chaine française qui affirme que « la mort d’un enfant massacré par le Hamas est plus terrible que la mort d’un enfant sous les bombes car la dernière image du premier, avant sa mort, est plus effrayante ».
Tout est dit, tout est osé, tout est assumé, tout est affirmé et l’indignation face aux certitudes ahurissantes n’a pas sa place alors même que le modérateur est juge et partie. Nul ne sait vers où ce conflit se dirige. Nous sommes à un croisement qui nous laisse dans une perplexité jamais connue depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Au Proche-Orient des hommes et des femmes meurent sous les bombes alors que dans nos démocraties occidentales, la parole est devenue risquée, plus que jamais stratégiquement mesurée.
Pour ma part, j’en suis réduite à tourner sept fois mes doigts sur le clavier avant d’écrire. C’est une nouvelle ère qui commence et elle ne sent pas bon.