Théâtre : Caroline Safarian, auteure et metteuse en scène, propose une lecture autour de son nouveau texte « La Valse des Oubliés »

Le 10 novembre prochain à 18 h, au Théâtre Le Public, Caroline Safarian proposera une lecture de quelques extraits de son nouveau texte « La Valse des Oubliés ». Le moment sera suivi d’un échange avec le public en présence de Georges Dallemange Député fédéral et de Robert Unusyan avocat et Président du Comité des Arméniens de Belgique. 

Après avoir écrit Papiers d’Arménie ou sans retour possible (Ed. Lansman) il y a vingt ans, à propos du génocide de 1915, et malgré ma passion de l’écriture, je me sens intérieurement désespérée d’avoir dû remettre le couvert avec une nouvelle pièce de théâtre sur le sujet ! C’est pour moi totalement hallucinant de devoir repartir sur cette matière avec cette sensation d’urgence vitale absolue, vingt ans plus tard ! Mais j’ai décidé d’arrêter tout ce que je faisais à la fin de la saison passée, pour agir avec mes armes, c’est à dire l’écriture et le théâtre, face à la situation dramatique des Arméniens de l’Artsakh, chassés de leur terre et de leur maison. 

Entretien

DiverCite.be : Caroline Safarian, parlez-nous de cette nouvelle pièce sur laquelle vous travaillez maintenant depuis quelques mois « La valse des oubliés » ?

Caroline Safarian : L’écriture de ma nouvelle pièce de théâtre « La valse des Oubliés » part d’un fait réel qui s’est passé en Azerbaïdjan il y a deux ans. Le Président IIham Aliev a fait l’inauguration d’une exposition, à ciel ouvert, à Bakou, exhibant des trophées de guerre, entre autres des casques de soldats arméniens morts au combat en 2020, dans l’assaut de l’Azerbaïdjan contre l’enclave arménienne du Haut-Karabakh (l’Artsakh). Mais on y voit aussi des poupées à taille humaine, fabriquées en cire, représentant des Arméniens agonisants, ensanglantés après le combat.

Au-delà du mauvais goût, c’est donc à partir de cet événement humiliant, dégradant et surréaliste qui traduit la haine et la propagande anti-arménienne que le gouvernement azéri opère sur sa population depuis des décennies, que j’ai commencé à écrire.

Après la visite de cette exposition, le personnage de Sévane dans ma pièce de théâtre, une femme artiste qui fait des recherches au Blakidjan, va rester dans un état de totale sidération, lorsqu’elle se réveillera de ce long et terrible cauchemar, dans la cale d’un bateau, qui fuit le Haut Plateau du Jardin Noir. Une telle exposition est-elle possible dans le monde réel en 2023 ? Caroline, sa comparse de route, va alors tenter de la faire revenir à la raison, mais Sévane préfèrera s’exiler d’elle-même plutôt que de se souvenir de ce qu’elle a vu et entendu durant leurs récentes recherches dans la montagne du Jardin Noir. Malheureusement, plus Caroline tente de faire revenir Sévane à la réalité, plus elle-même disparaitra et deviendra muette.

DiverCite.be : Vous avez à cœur depuis toujours de témoigner du destin des Arméniens, peu le font dans la communauté arménienne, comment expliquez vous cela ?

Caroline Safarian : Je pense que nombreux le font de manière différente dans les diasporas arméniennes du monde entier, mais que les récits de ce peuple intéressent trop peu. C’est un peu comme le drame des Ouïghours en Chine ou celui du Darfour avec ces centaines de milliers de morts civils, …

Sans faire de concurrence à la souffrance, je crois que selon les intérêts internationaux, selon ce que certains conflits cristallisent ou non dans les esprits collectifs, selon leurs conjonctures géopolitiques, il y a des drames dont les médias s’emparent plus facilement que d’autres.

De plus, dans le cas arménien en particulier, lorsque la Présidente de la Commission européenne, elle-même, Ursula Von der Leyen, se permet de qualifier l’Azerbaïdjan de « pays fiable » pour doubler les importations de gaz en Europe, il est évidemment beaucoup plus complexe pour les Arméniens de se faire entendre.

En effet, comment comprendre objectivement à quel type d’agresseur on a affaire avec IIham Aliev, le Président en place en Azarbaïdjan depuis plus de 22 ans, succédant à son propre père, quand par ailleurs on négocie des contrats énergétiques faramineux avec lui ?

DiverCite.be : Une actualité en chasse une autre, le drame qui s’est joué dans le Haut Karabagh et qui fut occulté par la guerre en Ukraine et aujourd’hui le conflit au Moyen-Orient, est-ce finalement aux artistes de rappeler au monde les drames qui se jouent aux quatre coins de la planète ?

Caroline Safarian : A priori, non, mais le théâtre est selon moi, entre autres, un relais, un lieu où ce qui a du mal à s’énoncer dans le réel peut prendre une forme tangible sur la scène, pour rebondir ensuite au cœur de la société. Parfois, je me dis que c’est une goutte dans l’océan, mais c’est en tout cas une façon pour moi de combattre mon sentiment d’impuissance face à toutes les injustices que j’observe dans le monde aujourd’hui.

Il est vrai qu’après avoir écrit Papiers d’Arménie ou sans retour possible (Ed. Lansman) il y a vingt ans, à propos du génocide des Arméniens de 1915, et malgré ma passion pour l’écriture, je ressens intérieurement une forme de désespoir d’avoir dû remettre encore le couvert avec une nouvelle pièce de théâtre sur ce sujet ! C’est pour moi totalement hallucinant de devoir repartir sur cette matière, avec cette sensation de déjà vu et d’urgence vitale absolue, vingt ans plus tard ! Sans me lancer ici dans de longues explications à propos de la cause arménienne, la récente épuration ethnique avérée que le gouvernement azéri a commise, en septembre 2023, avec entre autres cet exode forcé de milliers d’Arméniens du Haut-Karabakh, avait pourtant été prédite et annoncée à maintes reprises par les Arméniens du monde entier ! Aujourd’hui 100 000 Arméniens sont sur les routes ayant tout quitté : maison, terre, école… Ils sont voués à errer !

Enfin, si bien sûr mes origines arméniennes et mon travail sur la question des génocides m’ont sensibilisé à cette cause, écrire sur les Arméniens est en même temps une façon de parler de tous les invisibles dans notre monde !

DiverCite.be : Dans votre texte de communication de la lecture, vous citez ce proverbe arménien  « Si mon cœur est étroit, à quoi me sert un monde si vaste ? » Tous les conflits aujourd’hui le sont pour des problèmes de territoire, que vous inspire cette boulimie de l’homme de vouloir toujours posséder plus en chassant l’autre ?

Caroline Safarian : J’aime beaucoup ce proverbe. Je pense qu’aujourd’hui à certains égards dans de nombreuses situations on est au-delà du simple désir de posséder. Je crois que nous sommes de plus en plus confrontés à des désirs despotiques de faire disparaitre l’Autre, le différent de soi. Or, je pense que nous avons bien plus de choses en commun que de différences. C’est en tout cas mon observation, après plus de quinze ans sur le terrain, avec des publics aussi variés que multiples.

Dans l’exemple du cas arménien, qui est celui que je connais le mieux, l’objectif dépasse l’intérêt financier ou territorial, car il n’y a rien en Arménie ni dans le Haut-Karabakh arménien qui pourrait générer ce type de désir. Rien à part un énorme réservoir culturel, des abricots, des dattes, une vieille centrale nucléaire et des Arméniens ! Je crois que le rêve absolu et à peine caché d’Aliev est de créer avec son ami Erdogan un grand Empire turcophone, duquel les Arméniens seraient totalement exclus et pourquoi pas exterminés. Aliev fait d’ailleurs détruire systématiquement tout ce qui a attrait à la culture arménienne et qui existe depuis plus de deux millénaires dans la région de l’Artsakh (cimetières, monastères, monuments comme les khatchkars, …). Il n’hésitera donc pas à entrer dans le sud de l’Arménie, c’est une certitude !

Est-ce pour cela que je suis en droit de haïr le peuple azéri ? Non, absolument pas ! Je crois que le peuple azéri a bien plus de ressources et est bien plus intelligent que son gouvernement népotique et corrompu.

Nous sommes dans un moment délicat, nous le sentons, dans lequel le monde pourrait basculer. Rien ne justifie la barbarie que nous soyons dans le camp des opprimés ou des oppresseurs. Il faut faire attention à ne pas s’inventer d’excuses pour haïr l’Autre ! La haine, nous le savons, c’est pour les imbéciles ! L’Histoire en regorge et elle a toujours fait la honte de notre humanité.

DiverCite.be : Quel retour aimeriez-vous connaitre à l’issue de cette première lecture le 10 novembre prochain au théâtre Le Public ?

Caroline Safarian : Avec Sévane Sybesma, ma collaboratrice artistique sur l’écriture et sur le projet, notre objectif est d’éventuellement trouver des coproducteurs pour que nous puissions créer et jouer cette pièce de théâtre avec des moyens dignes de ce nom et qu’elle ait une longue vie afin de toucher les cœurs et les âmes de chacun des spectateurs. J’espère que du cas particulier nous puissions toucher un peu à l’universel et que chacun puisse y trouver un peu d’espoir dans ce monde quelque peu désespérant… Nous serons également à Paris pour une nouvelle lecture en avril 2024 à la Villa, Mais d’Ici.

AU THÉÂTRE LE PUBLIC LE 10 NOVEMBRE 2023
RUE BRAEMT 64-70, 1210 BRUXELLES (RÉSERVATION : 02.724.24.44 )   
18 h LECTURE : « La Valse des Oubliés » de Caroline Safarian (Collaboration artistique Sévane Sybesma). Avec France Bastoen, Sévane Sybesma, Yvain Julliard. 
  18 h 45 RENCONTRE AUTOUR DE LA QUESTION DU HAUT-KARABAKH ET DE L’ARTSTAKH:
AVEC GEORGES DALLEMANGE ET ROBERT UNUSYAN :
Georges Dallemange Député fédéral de la Chambre des Représentants et conseiller communal Woluwe-Saint-Pierre. Membre de l’Assemblée Politique National. Robert Unusyan Avocat et Président du Comité des Arméniens de Belgique

 

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