Keffieh traditionnel sur la tête, barbe noire, regard de lynx, le prince héritier d’Arabie saoudite et Premier ministre, Mohammed ben Salmane, dit MBS, intrigue, inquiète et questionne les dirigeants du monde. Cet homme qui célébrera ses 38 ans le 31 août prochain, sera probablement le prochain souverain de cette pétromonarchie parmi les plus fortunées au monde. L’Occident a besoin de l’Arabie saoudite et l’Arabie saoudite a besoin de l’Occident. Le fils héritier du roi Salmane ben Abdelaziz Al Saoud en a hautement conscience.
En 2022, ce n’est pas moins de 161 milliards de dollars de bénéfices que la compagnie Aramco, compagnie pétrolière publique saoudienne, a réalisé. Des bénéfices records grâce à la hausse des prix des hydrocarbures qui a mis de nombreuses populations à travers le monde dans de grandes difficultés économiques.
Ce sont les règles du jeu. Le monde a besoin de l’or noir et dans le contexte de la reprise des activités après la pandémie du Covid 19 et la guerre en Ukraine, les autorités saoudiennes ont voulu tirer profit de la situation. Les résultats sont là. Un gain financier conséquent qui fait de l’Arabie Saoudite un interlocuteur incontournable pour l’Europe et le monde.
Mais dialoguer avec l’Arabie saoudite aujourd’hui, c’est aussi devoir parler avec Mohammed ben Salmane. L’homme n’est pas un enfant de chœur avec qui faire des affaires se limiterait à une simple entreprise commerciale. Celui qui sera appelé à remplacer son père, Salmane ben Abdelaziz Al Saoud (lui-même fils d’Ibn Séoud, le fondateur de l’actuelle Arabie saoudite en 1932), a déjà derrière lui une carrière d’homme politique totalitaire bien remplie.
En 2015, lorsque son père accède au trône, on le désigne ministre de la Défense et chef de la Cour royale. Il a, à ce moment-là, à peine 30 ans. La jeunesse de MBS tranche avec l’âge des chefs d’État et de gouvernement de la région. Pour rappel, l’émir du Koweït a 86 ans, celui du Bahreïn 73 ans, 74 ans pour celui de Dubaï, etc. MBS sera le plus jeune ministre de la Défense du pays. Il est celui qui mène les opérations militaires, notamment au Yémen, contre les Houthis. En 2018, une plainte est déposée contre lui à Paris pour « complicité d’actes de torture ». C’est une organisation humanitaire yéménite qui en est à l’origine.
Un partenaire devenu incontournable.
Le chercheur et politologue, Hasni Abdi, qui travaille au Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam), à Genève relève pour nos confrères de Mediapart dans un article publié le 15 juin dernier que Mohammed Ben Salmane (…) est devenu le seul maître à bord. Il a marginalisé tous les prétendants au trône. Non seulement il est le prince héritier, mais le roi de facto, car le roi Ben Salmane est totalement absent. Les puissances occidentales ont compris qu’elles devraient composer avec lui durant plusieurs décennies et qu’il serait suicidaire de ne pas le réintégrer dans le circuit international.
Sur la scène internationale, c’est la disparition du journaliste Jamal Kashoggi en 2018 à Istanbul qui nuit le plus durement à la réputation et à la crédibilité de MBS. Il est accusé d’avoir donné l’ordre d’éliminer cet opposant. Cela lui avait valu des déclarations hostiles et une mise à distance des USA au début de la Présidence de Joe Biden. Mais, dans le contexte de la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine, la Maison Blanche va amorcer un tournant. Lors d’un briefing à la presse en novembre 2022, le département d’état souligne que MBS jouit de l’immunité en raison de son statut de Premier ministre du Royaume d’Arabie saoudite, ce qui fera déclarer à la veuve de Jamal Kashoggi qu’il avait été assassiné une deuxième fois.
Pour ce qui est du procès en respectabilité, la messe est dite. Reçu en France (où il possède un château de 5 000 mètres carrés dans les Yvelines) par le président Macron, l’homme est parvenu à s’imposer. Il se sait nécessaire voire essentiel dans un monde en crise où son pays est, non seulement l’un des principaux producteurs de pétrole, mais aussi l’un des principaux importateurs d’armes au monde. Stratégiquement, MBS sait qu’il a désormais le choix entre la Russie, la Chine et les Etats-Unis pour ses achats en avions et armements divers. La France de son côté est consciente qu’elle ne peut pas se permettre de passer à côté de ce client qui est en mesure de dépenser sans compter pour s’offrir du matériel militaire français de dernière génération.
Un pays du futur même lorsque le pétrole sera tari.
À l’instar de certaines autres pétromonarchies de la région, l’Arabie saoudite sait que viendra un jour où les hydrocarbures se feront plus rares dans son sous-sol. Le pic du pétrole, c’est à dire le moment où la production mondiale va commencer à diminuer, se profile à l’horizon 2030 et l’exploitation ne se prolongera pas plus de quelques décennies après. C’est donc le moment pour ce pays de réfléchir à de grandes réformes et elles passent notamment par des projets de modernisation qui sont au coeur de la «Vision 2030 ». Le dessein : faire évoluer le pays en une terre de production d’hydrogène et transformer les productions actuelles vers d’autres, plus en phase avec les attentes mondiales en termes de respect de l’environnement.
Sous l’impulsion de l’Emir Al Maktoum, Dubaï avait été le premier émirat à se lancer dans une politique de modernisation audacieuse. Avec la Coupe du Monde de football en 2022, le Qatar a emboîté le pas. L’émirat a réussi une belle opération de soft power et confirmé son intention de devenir le modèle à suivre dans le Golfe sur le plan de l’attractivité économique. Mais l’Arabie saoudite de MBS ne veut pas être en reste. Le pays se lance vent debout dans des investissements massifs dans le tourisme, la construction de villes nouvelles aux allures futuristes, le sport, en particulier le football, et dans l’organisation d’évènements d’envergure.
Le Fonds souverain saoudien a annoncé il y a quelques jours à peine la création d’une société (SRJ Sports Investment) pour financer des événements sportifs majeurs. Même si cette politique est déjà bien engagée, l’objectif est de continuer à diversifier les sources de revenus du pays.
Et pour pouvoir financer ces mégaprojets, le Prince héritier adopte une stratégie qui consiste à faire monter le prix du baril à 100 dollars. Déjà en juin dernier, le pays annonçait qu’il prolongerait sa réduction de production de 1 million de barils par jour jusqu’en septembre et peut-être même plus longtemps encore. La «raréfaction» fera ainsi grimper le prix pour atteindre celui souhaité par le nouveau Prince de l’or noir. Ce vendredi 11 août 2023, le prix du baril vacillait autour des 86 dollars. Une hausse de plus de 9% en un mois. L’Arabie saoudite, dans cette démarche de flambée des prix, est soutenue par Vladimir Poutine, mais aussi par les pays membres de l’OPEP qui, depuis sa création, suivent fidèlement les décisions de l’Arabie saoudite et des USA dans leurs politiques de fixation des prix du baril et des quotas de production de pétrole.
Une nouvelle Europe au Moyen-Orient ?
Lors d’une rencontre du Forum international sur l’investissement en octobre 2018 à Riyad, MBS avait fait une déclaration qui avait marqué les esprits. Il avançait: « Je crois que le Moyen-Orient est la nouvelle Europe. Dans les cinq prochaines années, l’Arabie saoudite sera totalement différente. Bahreïn sera différent, de même que le Koweït. Même le Qatar, avec qui nous sommes en désaccord, a une économie solide et sera totalement différent dans cinq ans« . Pour ajouter à sa détermination, il concluait en ajoutant qu’il en faisait un combat personnel.
Où en est-on 5 après cette déclaration ?
Les succès économiques de l’Arabie saoudite sont nombreux. Certains sont peu visibles comme la rationalisation des dépenses de l’état ou la croissance continue des revenus non pétroliers, d’autres, au contraire, reposent sur la recherche d’une visibilité maximale. C’est le cas des opérations de transferts de joueurs de football comme Cristiano Ronaldo, N’golo Kante ou Sadio Mené qui placent le pays au cœur de l’actualité sportive en Occident comme dans le reste du monde. Mais, comme le soulignent les organisations de défense des droits humains, les avancées économiques se font au détriment d’un lourd passif en termes de respect des droits de l’homme.
Au final, les avancées de l’Arabie saoudite ne sont peut-être pas aussi rapides que MBS les avaient annoncées en 2018. Le pays a néanmoins été à la base d’une série de décisions impactantes, dont la plus spectaculaire reste la négociation d’un accord sur le rétablissement des relations diplomatiques avec l’Iran sous l’égide de la Chine, un accord qui conforte la volonté du pays de construire une architecture de sécurité dans la région. MBS a bien compris les enseignements de l’histoire de l’unification européenne qu’il prend comme modèle: en l’absence d’une pacification durable, toute stratégie de développement du Moyen Orient est vouée à l’échec.