Entretien exclusif avec Elio Di Rupo pour la sortie de son livre « Le labyrinthe du pouvoir »

Ce 24 janvier sort un ouvrage « Le labyrinthe du pouvoir », un livre témoignage d’Elio Di Rupo, premier Premier ministre issu de la diversité. Avec ce texte, il nous propose une plongée dans son enfance, à Morlanwelz, commune de la région du Centre de la Belgique connue pour avoir accueilli des milliers de Siciliens après la Seconde Guerre mondiale, l’amour maternel, les difficultés financières, la mort de son père…

Di Rupo évoque sans pudeur ses difficultés scolaires, son entrée à l’université, ses rencontres politiques décisives, le scandale suite à des accusations infondées qui l’éclabousse en 1996… Des hauts et des bas jusqu’à son arrivée au 16 rue de Loi, devenant ainsi un Premier ministre d’origine italienne que ses compétences lors des négociations ont conduit tout naturellement à prendre les commandes du pays.

L’homme, venu  » de rien », sera tour à tour Ministre, Ministre-président de la Région wallonne, bourgmestre de Mons, Président du PS ou encore Vice-Premier ministre de l’Économie et des Télécommunications. Avec ce livre « Le Labyrinthe du pouvoir » Elio Di Rupo veut témoigner en affirmant aux plus jeunes que tout est possible, pour peu que l’on s’en donne les moyens.

 

Entretien

DiverCite.be : Pourquoi avoir décidé d’écrire ce livre à ce moment de votre vie ?

Elio di Rupo : J’avais envie de coucher sur papier un certain nombre de sentiments et d’événements qui étaient imprimés dans ma mémoire. Ce livre est le résultat de nombreuses recherches. L’une des grandes difficultés était aussi le temps qu’il fallait trouver pour écrire. Il a été rédigé entre deux réunions ou deux conférences. Je me suis aussi rendu à l’étranger pour écrire. Ai-je avec l’écriture de ce livre un besoin de transmettre ? Sans doute… Le but néanmoins est d’encourager les jeunes qui doutent. Quel que soit l’endroit où ils vivent et la situation qu’ils connaissent. J’explique aussi que l’évolution qui est la mienne est le fruit de rencontres heureuses, de travail, de circonstances, mais aussi d’une dimension affective majeure. A la maison, quand nous étions petits, nous n’avions rien. Pas de livre et les seuls textes que nous lisions étaient ce qu’on appelait « les réclames », les publicités toutes boites. Malgré cela, l’affection de ma mère a permis à la famille de grandir sans trop souffrir de la pauvreté.

DiverCite.be : Vous avez perdu votre père très jeune, vous aviez un an, le jour du mariage de votre frère ainé. Ce manque du père, certains hommes politiques que vous avez croisés plus tard, ont-ils été pour vous des pères de substitution ?

Elio Di Rupo : Non, ce n’était pas de cet ordre-là. J’ai trouvé chez Robert Urbain par exemple (novembre 1930-novembre 2018. Secrétaire d’Etat et plusieurs fois Ministre) une personnalité attachante. C’est lui qui est venu vers moi pour que je m’inscrive au parti socialiste. Il a été déterminant dans ma carrière, il m’a mis le pied à l’étrier. Guy Spitaels a aussi joué un rôle important, c’est lui qui m’a désigné ministre la première fois. Il y a aussi Philippe Busquin qui m’a propulsé de ministre de l’Éducation à la fonction de Vice-premier ministre. Ce sont pour moi des références, des personnalités pour lesquelles j’avais beaucoup de respect et qui arrivaient à détecter le potentiel des gens. De manière plus intime et amicale il y avait aussi Roger Ramaekers qui était beaucoup plus âgé que moi. Il était mon alter ego, celui avec qui je suis entré en résonance intellectuelle et culturelle… c’était un puits de connaissances.

DiverCite.be : dans ce livre vous racontez l’émerveillement qui était le vôtre lorsque vous êtes entré en politique. Un émerveillement qui a touché à sa fin lorsque vous êtes accusés, à tort, de pédophilie[1]. C’est à ce moment-là que vous découvrez le côté impitoyable du monde politique ?

Elio Di Rupo : La dureté de la politique, je l’avais déjà connue lors de situations qui m’avaient terriblement affecté, mais strictement rien à voir avec les accusations de pédophilie. C’était pour moi la fin du monde. A ce moment là, on ne pense pas à sa carrière politique. Lorsque je suis sorti de ma réunion avec Jean-Luc Dehaene (alors Premier ministre belge) où nous avions passé la soirée à parler de ce qu’il y avait lieu de faire, sur l’autoroute (il devait être 2 ou 3 heure du matin), je me souviens avoir connu un trou noir. C’était pour moi une sensation de «fin». C’est mon grand frère Franco, qui pourtant n’évolue pas dans le monde politique, qui m’a exhorté à résister. Cela m’a sauvé mais je savais aussi que je n’avais rien à me reprocher.

L’enquête a duré plus de deux ans, on n’a analysé absolument tout : mes comptes, mes allées et venues… je suis l’une des personnes qui a fait l’objet d’un examen microscopique le plus poussé qui soit.

DiverCite.be : Cet évènement vous a -t-il permis de comprendre qui étaient vos amis et qui étaient vos ennemis ?

Elio Di Rupo : Le jour même, en pleine nuit, lorsque j’ai appelé un certain nombre des membres de mon cabinet, immédiatement se sont formés deux groupes. Un groupe avec mon chef de cabinet de l’époque : Philippe Swinnen qui a été absolument extraordinaire et qui a tout assumé. Et puis un autre camp qui était content de cette histoire. Et tout au long de cette affaire il y a eu deux catégories : les pleutres et les hypocrites, d’un côté, et l’autre camp composé de courageux qui avaient confiance et qui n’ont jamais douté de ma sincérité.

DiverCite.be : Vous avez intégré le PS il y a plus de quarante ans. Que pensez-vous de l’évolution de ce parti et des valeurs qu’il véhicule aujourd’hui ?

Elio Di Rupo : Les valeurs du PS restent toujours des valeurs de gauche. Je dis dans mon livre «Je suis un socialiste exigeant, bien plus qu’un social-démocrate incertain». Aujourd’hui, avec Paul Magnette, il y a une réaffirmation de cela. Pour être synthétique, le monde ultralibéral et celui de l’argent sont un monde qui décide d’à peu près tout mais aussi des destins humains. Ce monde-là a renforcé son pouvoir ces dernières années. Aujourd’hui, il est indispensable d’avoir une attitude socialiste exigeante qui ne doit pas être une attitude communiste. Les socialistes ont des valeurs et une philosophie, mais aussi un état d’esprit qui permet de ne pas accepter le monde tel qu’il est pour le moment. Si on veut faire avancer l’émancipation des personnes, il faut accepter un certain nombre de compromis.

DiverCite.be : Qui serait selon vous l’héritier d’Elio Di Rupo ?

 Elio Di Rupo :  Il y en a certainement pas mal, mais si je devais citer une personne je me mettrais les autres à dos. Je pense qu’à chaque moment il y a des hommes et des femmes de qualité et avec de grandes capacités. Leurs actions dépendent aussi des circonstances. Le Général de Gaulle ne serait pas de Gaulle sans la Seconde Guerre mondiale. Tout cela n’est pas linéaire. Je ne vous cache pas que mes relations sont bonnes avec 95 % des personnes du parti, voire excellentes. C’est pour moi une grande satisfaction.

DiverCite.be : De toutes les fonctions qui ont été les vôtres durant votre carrière politique, et il y en a beaucoup, vous donnez l’impression que c’est en tant que ministre de l’Éducation que vous avez pris le plus de plaisir ?

Elio Di Rupo :  (rire) lorsque je suis devenu ministre de l’Éducation j’ai découvert un monde qui devait être impérativement actualisé et dépoussiéré, mais malheureusement je n’y suis pas parvenu, car je n’y suis resté que deux ans. J’ai néanmoins adoré ce que j’y ai fait. Je m’y suis complètement impliqué et j’étais certain que j’y arriverais puis est arrivé le scandale Agusta-Dassault[2] et Philippe Busquin me nomme alors Vice-premier ministre sans même avoir eu le temps d’en informer mon chef de cabinet. Cette période-là fut une période intense et je reste convaincu que l’éducation est le moyen le plus important d’émancipation des êtres humains.

J’ai pour les enseignants et les responsables politiques qui ont en charge l’éducation, un profond respect et une grande admiration. J’explique d’ailleurs dans le livre qu’un professeur a été pour moi déterminant dans mon parcours. Tout cela reste important comme ce fut le cas lorsque je suis devenu Premier ministre et que j’ai senti cette charge qui était la mienne d’être responsable du pays surtout après ces mois interminables de négociation très durs. J’avais aussi dans mon gouvernement des ministres de très grande qualité.

DiverCite.be : Quel est votre pronostic sur l’état de notre monde en ce début d’année 2024 ?

Elio Di Rupo : Il dépend de la  volonté d’un certain nombre de grands acteurs et actrices politiques du monde. En premier lieu, Zelensky et Poutine. Pour nous, Européens, ce qui se passe en Ukraine est très important. Le défi est de savoir s’il sera possible d’avoir un cessé le feu et un début de négociation. Mon sentiment est que les positions prises par l’UE sont des positions qui ne conduisent nulle part. Selon la loi physique de Newton, «toute action entraine une réaction». L’Asie et les pays autocratiques se rassemblent et comme ils n’osent pas affronter les États-Unis, c’est l’Europe qui subit toutes ces conséquences là. Le plus urgent pour les Européens en 2024 reste le conflit en Ukraine.

[1] En pleine affaire Dutroux, en novembre 1996, deux ministres sont accusés de pédophilie dont Elio Di Rupo.

[2] L’affaire Agusta-Dassault est une affaire judiciaire de corruption en lien avec l’achat par la défense belge d’hélicoptères de combat Agusta A.109

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