Pourquoi « Yalla » libère la scène musicale de la région MENA ?

De mère libyenne et de père syrien, le DJ, producteur de musique et cinéaste Bader Shashit a passé sa jeunesse entre Benghazi et Damas. Immergé dans ces deux cultures, il a grandi en écoutant les rythmes tagaza et majrouda bédouins de l’est de la Libye et la musique classique syrienne.

Lorsqu’il est arrivé en Belgique comme réfugié, il a observé que la plupart des personnes avaient des idées fausses sur tout ce qui venait du Moyen-Orient. « Ils connaissaient surtout le falafel et le houmous et quand il s’agissait de musique, seul le « Dabke », la musique folklorique levantine», raconte Bader au média New Arab.

Il s’est également rendu compte que les talents de sa région étaient quasiment absents de la scène musicale électronique. « Il était temps que nous reprenions notre musique… Yalla fait ce que nous sommes tous censés faire, participer à la création d’une scène sûre, bienveillante et solidaire »

Pour changer cela, il a donc créé Yalla, une nouvelle plateforme qui met en lumière la diversité et la richesse de la musique MENA et de ces artistes qui sont souvent négligés par les médias grand public. L’artiste de 28 ans a lancé l’initiative en août 2022 dans la ville flamande de Gand en collaboration avec son collègue Lennart Thienpont (DJ Acid Ponch).

Depuis, ils sont présents avec une série de soirées en Belgique et à l’étranger, des conférences et une émission sur la radio parisienne Radio Flouka qui met à l’honneur les artistes arabes. La passion de Bader pour la musique l’a également amené à faire connaitre la vie nocturne underground émergente d’Amman en filmant et organisant des soirées à Tunis et à Beyrouth en mai dernier.

Yalla crée un espace inclusif, gratuit et innovant pour les étoiles montantes de la région MENA « Quand il s’agit de culture, il y a toujours cette ambiance de colonisation« . Depuis qu’il est enfant, Bader est passionné par l’art, mais il n’avait jamais eu l’opportunité de s’exprimer pleinement en Libye ou en Syrie.

« Dans ces pays, vous avez beaucoup d’artistes formidables et futuristes, mais le lieu ou l’infrastructure pour exprimer ce genre de choses n’existe pas« , dit-il.

Dans son pays, il menait une vie équilibrée. Son père était un homme d’affaires et ensemble ils vivaient entre plusieurs pays. Le déclenchement du printemps arabe en 2011 et les soulèvements qui en ont suivi en Syrie et en Libye ont conduit Badr à prendre la décision de fuir vers la Belgique quatre ans plus tard.

Pour l’artiste, la guerre et le départ à zéro dans un autre pays ont été un choc. Il a vécu les premières étapes du conflit syrien avant de s’installer en Libye. Il n’y est plus retourné depuis son départ.

En Belgique, il affirme que l’art est son refuge. Il a commencé la photographie et la vidéo jusqu’à ce qu’on lui offre un travail pour créer une narration vidéo et du contenu chez Voem, une ASBL soutenue par la Flandre et la municipalité de Gand qui relie les personnes et les organisations par le biais de la culture et de l’engagement social.

En explorant les initiatives de Voem, il est tombé sur Yalla Dabke, un projet plus traditionnel axé sur la musique folklorique levantine. Comme Bader se concentrait à l’époque sur les documentaires, la scène musicale MENA était nouvelle pour lui. En faisant des recherches, il a remarqué que de nombreux grands noms « flashy/houmous » de la scène électronique n’étaient pas originaires de la région arabe, mais qu’ils gagnaient en visibilité à l’échelle mondiale. « J’ai toujours été intrigué par la colonisation de la culture. Si le Moyen-Orient a été colonisé par de grandes puissances dans le passé en matière de culture et de musique, vous avez toujours cette ambiance de colonisation », souligne-t-il. « Nous ne voulons pas travailler avec ceux qui ont une histoire avec l’ « orientalisme » ou qui prennent simplement les idées de quelqu’un d’autre« .

L’homme est aussi particulièrement contrarié lorsqu’il constate que des événements aux thématiques se portant autour du mot arabe « Habibi » se multiplient en Europe, alors même que les organisateurs n’ont aucune origine arabe. Ce manque de représentation et de compréhension de la culture le frustre. Lorsque son collègue belge en charge du projet musical est parti, il a sauté sur l’occasion pour le reprendre et attirer davantage l’attention sur la scène musicale MENA.

Shashit a renommé le projet simplement Yalla, « parce que tout le monde utilise ce mot« . C’est un mot arabe commun pour «Allons y, dépêchez vous ou allez». Bader affirme que comme ce terme est souvent mal utilisé par les étrangers, il l’a choisi « comme un moyen de résistance contre les vues orientalistes prédominantes».

Avec des spectacles à travers l’Europe et dans la région MENA, Yalla a le vent en poupe « Il est temps que nous reprenions notre musique », a déclaré Dj Noise Diva, d’origine syrienne, à nos collègues de «The New Arab. La plateforme a organisé sa première soirée l’été dernier au Funke Club de Gand en faisant venir de Palestine Cheb Runner et Kamel Badarneh alias SAWT.

Kamel, qui utilise des outils analogiques, des enregistrements de terrain et des techniques de conception sonore, a créé un son où les musiques technos, ambiantes et expérimentales se sont rencontrées en harmonie. « Les gens sont venus au club en pensant qu’ils allaient à une soirée Dabke, puis ils sont entrés et ont vu que c’était différent », se souvient Bader.

Depuis ses débuts réussis, Yalla est en forte demande de collaborations. Cependant, le collectif est sélectif quant aux personnes avec lesquelles il travaille, évitant ceux qui exploitent ou s’approprient la culture arabe.

Ils collaborent avec d’autres collectifs à travers l’Europe qui partagent des idées similaires sur l’utilisation de la vie nocturne comme mouvement social pour combler les clivages politiques. Musique électronique fusionnée avec des éléments inspirés du Moyen-Orient De nombreux artistes se sont produits jusqu’à présent à travers Yalla, fusionnant la musique électronique avec des éléments inspirés des airs orientaux.

Des genres comme la house, le juke, le breakbeat et la techno se mêlent facilement aux influences égyptiennes Shaabi et électro mahraganat, raï algérien et gnawa marocain exprimant la frustration des artistes face à la fracture culturelle entre l’Orient et l’Occident. « Nous ne travaillons pas dans un safe space. Maintenant, tout le monde veut être branché et cool, alors on évoque ce safe space mais ce n’est qu’un gadget marketing. Nous préférons l’appeler un espace libre »

3PHAZ, un musicien basé au Caire a impressionné les foules avec sa déconstruction du Shaabi, un genre égyptien populaire. Toumba d’Amman a montré comment il déconstruit la musique levantine et jordanienne tandis que Bakisa de Beyrouth s’est attaché à revisiter le passé à travers la musique moderne.

Parmi les autres artistes, Renata et Hadi Zeidan de Beyrouth, Asifeh et 00970 de Ramallah et Cheb Runner un belgo-marocain. «Je fais de la musique qui porte des éléments de mon passé, de mon identité. C’est de la musique que vous entendez quand vous êtes en Egypte dans le taxi ou à Beyrouth», explique DJ Noise Diva, basée à Amsterdam, qui s’est récemment produit lors d’un des événements de Yalla en Belgique.

Suite de l’article sur le site de « The New Arab »

Cette article est la traduction française d’un texte paru sur le média en ligne The New Arab

Vittoria Volgare Detaille est journaliste et traductrice spécialisée dans le Moyen-Orient. Après avoir étudié la littérature arabe, elle a collaboré avec les Nations Unies et avec l’agence de presse italienne ANSA. Elle a vécu en Syrie, en Égypte, au Liban, en Libye et au Koweït pendant plus de 10 ans.
Yalla est une plateforme qui apporte la culture de la vie nocturne du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord en Europe. Il organise des soirées, des conférences et une émission de radio pour mettre en lumière la diversité et la richesse de la scène musicale MENA et des artistes négligés par les médias.
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