S.Echallaoui: « Il y a un avant et un après le 22 mars 2016 et les attaques de Bruxelles » (3/4)

Vous êtes inspecteur de religion islamique depuis plusieurs années. Parallèlement à cela, d’avril 2019 à décembre 2020, vous avez été président de l’association qui gère la Grande mosquée de Bruxelles puis de 2016 à 2018 président de l’Exécutif. Comment est-on venu vous proposer ce poste ?

En 2016 l’EMB a connu une crise profonde entre le Président de l’époque et les membres de l’institution. Il en a découlé alors la nécessité  de changer de présidence, par une décision interne de l’Exécutif lui-même. Après plusieurs consultations et concertations au sein des instances musulmanes, ainsi qu’avec le ministre de la Justice de l’époque, à titre informatif puisqu’il ne peut s’ingérer dans les affaires du culte, il était question d’aller chercher quelqu’un en dehors de l’équipe de l’Exécutif. J’étais déjà vice-président de l’AG. Puis, la proposition de prendre la présidence m’a été faite.

Vous avez immédiatement accepté le poste ?

Non, je ne voulais pas prendre une responsabilité telle que celle-là. Je ne dirais pas que j’ai connu une pression mais on a insisté pour que j’accepte ce mandat pour tenter de sauver l’institution. Donc, j’ai fini par accepter. Ensuite, l’EMB s’est réuni en plénière et a validé ce choix. Il y a eu pratiquement  unanimité sur ma désignation. Le vote en ma faveur a été majoritaire avec un seul vote contre. Et même du côté du ministre, c’était la satisfaction. Je prends alors mes fonctions en tant que président de l’Exécutif le 21 mars 2016.

Nous sommes alors à la veille des attentats de Bruxelles ?

C’était la première responsabilité à laquelle j’allais être confronté. Le lendemain de ma prise de fonction, je répondais déjà aux innombrables sollicitations téléphoniques de la presse. Alors que ceux qui se présentent maintenant comme opposants, ont préféré garder volets et fenêtres closes pendant la tempête. La situation était on ne peut plus difficile. Il fallait répondre à des tas de questions extrêmement précises touchant à la présence des musulmans en Belgique et à l’avenir de l’islam dans notre pays.

Cette première crise passée, quelles ont été vos travaux pour améliorer l’image de marque de l’EMB et de l’islam en Belgique?

La crise n’est jamais réellement passée. Il faut reconnaitre une chose : il y a un avant et un après le 22 mars 2016 et les attaques de Bruxelles. La situation des musulmans, de même que celle de l’islam en Belgique ou de l’islam de Belgique, n’est désormais plus la même. Mais il reste toujours ceux qui ne comprennent pas que nous étions là à un moment où il fallait un vrai sursaut avec des paroles et gestes forts. Il fallait réfléchir et exprimer au reste de la société la manière dont nous voulions vivre notre religion et notre religiosité, la manière dont on conçoit l’islam dans un contexte européen et dans un contexte belge plus précisément.

Qu’aurait-il fallu faire, avec le recul, soit presque 6 ans maintenant après ce drame des attentats ?

Il aurait fallu faire un arrêt. Se poser les bonnes questions. Comment voulons-nous vivre dans cette société en tant que musulmans et citoyens ? Quelle place voulons-nous prendre aux côtés des autres cultes ? Comment voulons-nous vivre notre citoyenneté belge ? Comment voyons-nous et vivons-nous notre religiosité et notre rapport au religieux dans une société plurielle et multiculturelle?

Quelles ont été vos réalisations ?

Construire cet islam ouvert et ancré dans le contexte Belgo-belge. La première chose à laquelle nous nous sommes attaqués, c’était  la formation des cadres religieux, des imams, des enseignants et des conseillers musulmans dans les prisons. Il fallait mettre en place un plan anti radicalisme que nous avons transmis pour information aux autorités à l’époque. Nous avons commencé à engager des conseillers musulmans spécialistes dans la lutte contre le radicalisme, parce qu’il y avait des prisons spécifiques où étaient concentrées des personnes radicalisées ou revenues de zones de conflits. Je peux ajouter quelques unes de nos réalisations comme le plan de lutte contre le radicalisme pour tous les cadres musulmans de la société (enseignants, prédicateurs, responsables des communautés islamiques, développement de la communication…) avec la collaboration des autorités fédérales et des entités fédérées. Et mise en place d’un service de prédicatrices et théologiennes. Malheureusement, ces prédicatrices et théologiennes ne sont plus en fonction aujourd’hui.

Sans oublier la nécessité de la formation des imams ?

Exactement ! Il fallait aussi les sensibiliser à la problématique du fondamentalisme et de l’extrémisme qui peut mener au radicalisme violent.

Ce travail s’est fait en collaboration avec les universités ?

Bien sûr, mais aussi avec les services belges compétent, la police fédérale et les spécialistes dans la lutte contre le terrorisme. Nous les avions invités en tant que formateurs à participer à la formation des imams. A cela s’est ajouté une formation linguistique en partenariat avec les universités belges. Avoir des imams formés théologiquement, c’est bien, mais s’ils n’ont pas les outils de communication, surtout avec nos jeunes, c’est problématique. Sans parler de la formation séculière sur les lois de notre pays, l’histoire de la reconnaissance des cultes, la séparation Eglise-Etat…

Quelles étaient les objectifs de cette académie, l’AFOR (Académie de Formations et de Recherches en Études islamiques) que vous avez mise en place ?

Deux choses : l’organisation de la formation initiale et la pérennisation  de la formation continue. La formation initiale pour ceux qui veulent devenir imams ou celles qui veulent devenir prédicatrices, théologiennes ou conseillères du culte musulman. Et la formation continue aussi pour ces mêmes catégories de personnes et de fonctions. Nous avons donc travaillé sur un programme solide étalé sur 5 ans, nous avons établi des partenariats avec deux grandes universités: la KULeuven et l’UCLouvain. Celles-ci s’occupant de la formation profane et séculière alors que la formation théologique et religieuse revenait à la communauté musulmane

Quelles ont été vos exigences pour ces formations ?

Que la formation des imams soit une formation faite en Belgique. Je ne voulais faire appel à aucune intervention extérieure avec une conception de la formation étrangère aux principes fondamentaux de notre société. Il était très important pour nous que cette formation-là soit ancrée dans le contexte, culturel, cultuel, historique et socio-politique belge.

Malgré le laps de temps très court, deux ans, de votre présidence, y êtes-vous parvenu ?

Deux ans de présidence certes, mais j’ai poursuivi, à la demande de l’EMB, en tant que vice-président à ce projet là et d’autres encore. La formation était liée à un impératif important : la prise en charge des subsides par les autorités fédérales. Nous avions eu un accord avec l’ancien Ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V), pour que ces formations des imams soient financées par les autorités. Si l’on souhaite une formation totalement belge, elle doit être alors aussi totalement financée par l’état.  La première tranche du subside pour la formation séculière nous est parvenu. Celui pour la formation religieuse n’a jamais été reçu et le ministre a alors déclaré à la presse que l’AFOR était un échec. C’était un coup d’arrêt à un chantier auquel on croyait très fort et sur lequel nous avions travaillé pendant plusieurs années. Un programme solide, en collaboration avec de grandes universités belges. Nous avons mis en place d’autres formations en partenariat avec des hautes écoles flamandes et la KULeuven avec la mise en place d’un master en sciences des religions, option Islam,  une première en Belgique. Le même exercice a été fait en collaboration avec l’UCLouvain,  nous avions mis en place un certificat de didactique du cours de religion islamique. Nous en sommes à la troisième promotion. Le titre est reconnu par la Communauté française et financée  via l’IPFI (l’Institut de Promotion des Formations sur l’Islam de la Fédération Wallonie-Bruxelles).

Le coup d’arrêt de l’AFOR arrive à ce moment-là ?

Oui, il s’est arrêté quand j’ai démissionné en décembre 2020. J’en étais la cheville ouvrière. C’est regrettable. C’est un énorme gâchis !

Suite…

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