S.Echallaoui: « Il y a des séparatistes au Nord du pays qui veulent la création d’un Exécutif des Musulmans flamands » » (4/4)

Certains experts proches du dossier soupçonnent qu’il y ait un agenda flamand derrière les derniers événements dans le sens où il s’agirait de pousser à la tête de l’EMB une équipe néerlandophone proche du parti du Ministre de la Justice et peut-être même de provoquer une scission linguistique au sein de de l’institution ?

Une volonté de séparatisme existe. Nous sommes en Belgique. Au-delà même du culte musulman cette volonté est réelle de la part de certaines tendances politiques. Malheureusement cela est arrivé aussi dans les institutions du culte musulman et au sein de la communauté musulmane. Il y a en effet des séparatistes au Nord du pays qui veulent la création d’un Exécutif flamand. Avant ma démission et dans le cadre de mes responsabilités, j’avais exprimé ma position, lors de rencontres officielles, en faveur du cadre institutionnel de la Belgique  fédérale et le refus d’un Exécutif divisé linguistiquement. Evidemment, tout en gardant les collèges francophone et néerlandophone que nous avions créé par le passé. Si à l’avenir, l’État belge ou le gouvernement opte pour la scission des différents cultes, les musulmans, avec leurs partenaires des autres cultes se prononceront collégialement. Discriminer le culte musulman, vouloir lui imposer, et uniquement à lui, une scission, ce n’est pas normal. Pour la laïcité par exemple, il y a déjà deux structures mais ce sont les laïcs qui l’ont voulu et nous respectons ce choix.

Quels sont les buts d’une scission de l’EMB ?

Les raisons sont multiples. J’en avance une:  il est plus facile, je pense, pour certains de prendre le contrôle sur une communauté divisée et donc plus restreinte que sur une communauté unie et donc plus nombreuse.

Que pensez-vous de la prise de position de votre successeur, Monsieur Mehmet Ustun, qui annonce que l’Exécutif se passera de la subvention en faveur de l’organe chef de culte ?

Personnellement, je pense que le subside du culte musulman est un droit. Ce n’est ni une faveur, ni une aumône qu’on fait au culte musulman. Le culte musulman rend un service à la société. A travers son organisation, ses mosquées et à travers tous les cadres qu’il supervise. Il est donc tout à fait normal qu’il soit financé. Il faut aussi faire la différence entre le financement de fonctionnement et celui qui est attribué à tous les cultes reconnus par la loi à savoir : les salaires des ministres du culte, les salaires des employés… Donc, je pense que le Président de l’Exécutif actuel parlait plutôt du subside de fonctionnement. Je pense que l’État doit continuer à subsidier l’institution tout en respectant le principe de séparation de l’Eglise et de l’Etat. Le culte musulman n’est pas encore un culte qui a les moyens de s’autofinancer. Et donc ne pas le financer, c’est le mettre en difficulté.

C’est Mehmet Ustun qui disait vouloir y renoncer.

Parce qu’il y a eu beaucoup de menaces de retrait de ce financement. Le président de l’Exécutif a réagi à cela. Sa position est : « Si le subside implique notre mise sous tutelle dans l’organisation des cultes et qu’on devienne des employés et des fonctionnaires, alors on n’en a pas besoin. » Je pense que c’est dans ce sens-là qu’il l’a dit. Je tiens aussi à dire une chose importante. Les deux seuls organes reconnus qui sont financés et subsidiés, dans le cadre d’un budget de fonctionnement, sont la laïcité et le culte musulman de Belgique. Les autres cultes le sont dans d’autres domaines mais pas au niveau du fonctionnement. La différence, la laïcité est financée par le fait d’une loi, l’Exécutif l’est par un Arrêté Royal. Cette différence met l’EMB dans une situation fragile et précaire et très dépendante du pouvoir exécutif qui le subventionne chaque année.

La justice s’est exprimée concernant la demande de trois membres de l’Exécutif de désigner un administrateur provisoire. Qu’est-ce que vous répondez à ceux qui parlent d’opacité et d’irrégularités dans la gestion de l’Exécutif des Musulmans de Belgique ?

J’ai démissionné en décembre 2020 et j’ai pris mes distances. Je ne suis donc pas personnellement concerné par cela. D’ailleurs je n’ai pas été informé de cette plainte, ni officiellement ni officieusement. Je vous renvoie vers l’actuel président de l’Asbl Collège de l’EMB qui peut, mieux que moi, vous répondre.

Que répondez-vous à l’accusation du ministre de la justice Van Quickenborne d’être un espion du Maroc ?

J’ai déjà réfuté ces propos diffamatoires et calomnieux. J’ai lancé avec mes avocats Maitre Uyttendaele et Maitre Debaty une procédure en justice pour établir la vérité. Je vous répondrai par les mots de Maitre Debaty qui s’est exprimée dans le Vif l’Express du 9 décembre 2021 :  » Notre objectif est de rejeter ces accusations d’espionnage au bon endroit et non par des jeux médiatiques.(…) les propos diffamatoires et calomnieux tenus par le Ministre et la négligence dont il a fait preuve en se fondant sur un avis non étayé de la Sûreté de l’Etat, et ce faisant il s’est ingéré dans les affaires du culte musulman, puisqu’il a forcé Monsieur Echallaoui à démissionner de son poste de vice-président de l’Exécutif des musulmans de Belgique »

Nous sommes dans un Etat de droit. Je fais confiance à la justice de mon pays. Quand même seriez vous ministre, cela ne vous donne pas le droit de vie et de mort sur les mandats d’institutions protégées par la Constitution. Martin Luther King disait :  » Une loi ne pourra jamais obliger un homme à m’aimer, mais il est important qu’il lui interdise de me lyncher. » Médiatiquement, je précise! Je reste donc serein et confiant.

Quel regard portez-vous sur l’avenir de l’institution EMB ? Le Président Ustun a annoncé que des réformes auraient lieu. Quelles sont les réformes les plus urgentes à mener selon vous ? 

Depuis ma démission, je ne suis plus mêlé à ce qui est en train de se passer maintenant au niveau du renouvellement, des réformes de l’Exécutif. J’ai pris mes distances mais je peux porter un regard d’expert. L’avenir de l’ EMB dépend de plusieurs paramètres. Premièrement, de la communauté musulmane elle-même. Comment cette communauté veut-elle vivre sa religiosité dans ce pays ? Comment cette communauté veut-elle gérer le temporel de son culte ? Certains membres de la communauté musulmane ont-ils atteint la maturité nécessaire pour fonctionner à l’égal des autres cultes dans la gestion du temporel ? Je n’en suis pas convaincu.

Nous n’avons pas les structures des autres cultes, ni leur expérience. C’est pour ça d’ailleurs que tous les 6 ans il y a des réformes. Certains imaginaient que 2020 aurait été la fin du mandat et le début de nouvelles élections. Or, ce qui était prévu, c’est que 2020 soit d’abord l’année de l’évaluation, un processus soumise à la communauté musulmane, discuté, etc. Pour définir si cette formule mise en place en 2014 est la bonne ou pas. Il faut certainement une réforme mais une réforme ne s’impose pas de l’extérieur. Aucun politicien ne peut imposer cette réforme. La clé de sa réussite doit venir des personnes concernées et donc d’elles-mêmes.

Le second paramètre concerne certaines personnes du monde politique belge. Considèrent ils-le culte musulman comme égal aux autres ? Considèrent-ils les citoyens musulmans comme des citoyens à part entière ? Ce qui nous arrive maintenant ou ce qui arrive au culte musulman, certains amis responsables dans d’autres religions reconnues m’ont fait savoir que si 5% de tout ce qui a été fait aux musulmans avait été fait à un autre culte, cela aurait probablement provoquer un séisme. Les musulmans n’ont pas le droit d’avoir des racines et des liens spirituels. Sans ingérences bien entendu qu’elles soient internes ou externes à ce pays, car nous les refusons catégoriquement ! J’ai eu l’occasion de le répéter, de le dire depuis ma prise de fonction au sein de l’Exécutif des musulmans de Belgique, je n’ai jamais permis une ingérence et j’ai travaillé avec mes collègues justement dans le refus de cette ingérence. Les autorités belges avec qui j’ai travaillé en partenariat et le monde académique le confirment aussi. Ma question reste pour certains politiciens : « Etes-vous prêts à considérer les musulmans égaux aux autres croyants de notre société ? A mettre sur un même pied d’égalité tous les cultes et toutes les convictions reconnues dans notre pays ? »  

Une conclusion ?

La Belgique est pour moi un véritable exemple en terme de gestion des cultes et des convictions. Je caresse l’espoir qu’elle le restera à l’avenir. Et que les bonnes volontés de notre pays fassent barrage au populisme montant.

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