Entretien avec le romancier franco-algérien, Mabrouck Rachedi, pour son dernier livre « Tous les mots qu’on ne s’est pas dits »

 

Mabrouck Rachedi, romancier franco algérien, vient de publier un nouveau roman : « Tous les mots qu’on ne s’est pas dits ». Analyste financier de formation, il est aujourd’hui Chroniqueur littéraire au magazine Jeune Afrique et chroniqueur actualité au magazine Le Courrier de l’Atlas. Dans ce dernier roman qu’il publie aux éditions Grasset, Mabrouck nous décrit le parcours d’une famille, la sienne, issue de l’immigration algérienne. Il revisite son histoire et celle des siens qui ne peut se dissocier de la destinée de deux pays, l’Algérie et la France.

Son écriture, intime et pudique, propose une fenêtre ouverte sur les blessures, les attentes, les espoirs qui furent communs à tous les hommes et toutes les femmes qui connurent ce destin de l’exil  dont leurs descendants continuent de subir les affres.

divercite.be a rencontré l’auteur et il se livre à nous dans un long entretien.

divercite.be : Mabrouck Rachedi vous êtes journaliste et romancier, parlez-nous un peu de vous et de votre travail littéraire ?

Mabrouck Rachedi : Dans « Tous les mots qu’on ne s’est pas dits », je mets en scène mon double littéraire. Son parcours ressemble un peu au mien : Malik a quitté son métier d’analyste financier et, en octobre 2005, il cherche à faire publier son premier roman « Le Poids d’une âme ». J’ai moi-même fait ce grand saut à la même époque. On pourrait penser que c’est un sacré détour mais, en réalité, la parenthèse, c’était celle qui m’avait conduit à la finance. Après avoir lu « Le Père Goriot » de Balzac à l’adolescence, j’avais commencé à écrire. Mon tout premier manuscrit a été « Le Poids d’une âme ». Puis, moi qui viens d’un quartier populaire en banlieue, je suis allé vers un milieu d’argent.

L’écriture avant tout !

Mais mon rêve d’écriture n’était pas complètement mort. En parlant avec des amis, des collègues, j’ai réalisé que beaucoup s’imaginaient un autre destin mais que les contraintes matérielles les empêchaient de franchir le pas. Avant que celles-ci ne pèsent trop lourdement sur mes choix, j’ai décidé d’arrêter ma carrière pour essayer de me faire publier. Je ne connaissais rien à l’édition, je ne connaissais personne dans ce milieu. Ce qui m’a conduit à des situation cocasses, comme celle où j’ai reçu la lettre de refus d’un éditeur… de manuels de bricolage. Il se demandait pourquoi je lui avais envoyé un roman ! Je prenais les noms de maison d’édition au hasard dans les pages jaunes et je leur envoyais mes projets à l’aveugle.

Après plusieurs années où j’ai eu à la fois des retours encourageants, à la fois des moments où j’ai failli abandonner, j’ai publié en 2006  « Le Poids d’une âme » aux éditions Jean-Claude Lattès. J’ai ensuite publié huit autres livres : quatre romans de littérature générale, un essai satirique, trois romans jeunesses.

« Tous les mots qu’on ne s’est pas dits » est le fruit d’une quête très personnelle et d’un travail collectif avec la maison d’édition Grasset, en particulier Pauline Perrignon, qui a été la lectrice et l’éditrice idéale et qui, au-delà de son travail, est un formidable soutien dans la vie de ce livre. Elle a toujours des mots qui atténuent mes doutes et me font aller de l’avant.

divercite.be: Ce livre évoque finalement ce qui est cher à beaucoup dhommes et des femmes issus de la deuxième génération : lidentité, la transmission, les fêlurespourquoi cette envie de revisiter cela aujourdhui ?

Mabrouck Rachedi : Il y a un extrait où j’essaie de montrer les injonctions contradictoires qui pèsent sur l’un de mes personnages  : « À l’école, (…) il nous fallait être « meilleur que les Français », c’est pourquoi mon père refusait, autant que sa maîtrise de la langue le lui permettait, de parler avec nous dans nos langues natales, le tamazight et l’arabe. (…) Il fallait être français, sans tout à fait l’être et tout en cherchant à l’être mieux. Allez comprendre quelque chose. »

Les êtres humains sont traversés de fêlures et c’est là que je veux porter ma plume. Les identités sont multiples par définition. Quand elles se construisent entre deux pays à l’histoire conflictuelle, comme celle entre l’Algérie et la France, les legs du passé déteignent sur les destins personnels. C’est pourquoi, dans « Tous les mots qu’on ne s’est pas dits », il y a des grands moments de l’histoire franco-algérienne, comme la guerre d’indépendance, les massacres du 17 octobre 1961, le mythe du retour, la destruction des tours HLM, les espoirs nés de l’élection de François Mitterrand, etc.

La multiplicité des identités est incarnée à travers une galerie de portraits.

Les membres de la famille Asraoui ont des personnalités, des parcours différents, même s’ils sont issus de la même histoire, qu’ils ont été élevés dans le même contexte. Cet aspect personnel est l’essence même du roman. Je veux montrer des trajectoires singulières et cela passe par des situations déterminantes qui se déroulent lors de la diffusion du clip « Thriller » de Michael Jackson, lors d’une fête de Noël, lors d’une visite à un voisin…

« Si la question de l’identité m’habite depuis toujours, il m’est devenu urgent de l’aborder après les attentats de 2015 ».

Ces faits sont atroces, inexcusables et ils m’ont plongé dans une profonde tristesse, partagée avec toute la France et le monde. Cette tristesse s’est doublée de stupéfaction quand certains m’ont demandé, à travers des prises de position, des pétitions, lors de discussions, de m’en désolidariser en tant que musulman. Alors que j’avais l’espoir que l’unité nationale pourrait prévaloir dans des circonstances aussi dramatiques, les identités multiples étaient perçues comme des identités séparées, antagonistes, dont l’une devait des excuses à l’autre. La dimension politique de l’identité n’en est devenue que plus évidente et, depuis, les termes du débat présidentiel ne font que le démontrer. Ma réponse à la machine à laminer les identités au hachoir des stéréotypes est l’approche sensible de l’écrivain.

divercite.be: Ces personnages qui nous accompagnent, sont-ils totalement ou partiellement fictionnelles ?

Mabrouck Rachedi :Une phrase de « La femme révélée », le très beau roman de Gaëlle Nohant résume mon parti pris : « j’ai échafaudé des mensonges nécessaires avec un souci de sincérité absolue. » Si je racontais l’histoire de mes parents, de ma famille, je pense que je ménagerais mes personnages et au lieu d’écrire un roman avec des frictions, des personnages contradictoires voire antipathiques, je rendrais un hommage un peu lisse à des héros. Mes personnages ne sont pas des héros, je les chiffonne, je les malmène aussi, j’ai besoin de cet écart à la réalité pour les rendre vrais.

Le point de départ, une famille nombreuse qui a loué une péniche pour l’anniversaire de la mère qui n’a jamais vu la Tour Eiffel, est tiré d’une histoire vraie. J’ai aussi mis en scène mon double littéraire, Malik, qui a abandonné la finance pour se lancer dans l’écriture. Le plus important pour moi n’est pas de dire ce qui relève de la réalité ou de la fiction mais de véhiculer des émotions. Les premiers retours, très touchants, que j’ai reçus à propos de « Tous les mots qu’on ne s’est pas dits » montrent que mes lecteurs et lectrices s’identifient à des personnages, des situations et c’est le plus beau compliment que l’on puisse me faire en tant qu’auteur.

divercite.be: Comment avez vous travaillé la construction de ce roman ? En architecte de l’écriture ou en vous laissant emporter par lhistoire qui se déroule ?

Mabrouck Rachedi :Je suis très spontané dans mon écriture. Je suis plus un artisan qui se frotte directement au terrain avec ses outils, qu’un architecte qui dresse des plans et des grandes idées. La structure m’est venue très naturellement, au fil de la plume. Il m’est apparu que le sens de mon histoire ne se saisissait pas forcément dans un ordre chronologique. Le présent ricoche sur le passé comme la péniche cahote sur la Seine tout au long du roman.

divercite.be: Si vous deviez poser un regard rétrospectif sur les choses, diriez vous quil fut plus facile d’être issu de la deuxième génération de limmigration algérienne que la troisième voire, la quatrième avec ce qui nous connaissons comme fracture ?

Mabrouck Rachedi :Je ne suis pas un adepte des comparaisons entre les générations, je pense que chacune a eu affaire à ses défis. Je vais être très schématique car cette question est très complexe et nécessiterait de très amples développements. Elle fait d’ailleurs l’objet de recherches poussées et passionnantes de la part d’historiens et de sociologues.

Les premières générations étaient dans un pays qui avait besoin d’elles en pleine période de croissance, les Trente Glorieuses. Les difficultés restaient énormes, d’abord dans les bidonvilles puis dans les banlieues, où l’environnement s’est vite dégradé. Il y avait donc un écart entre un besoin économique d’une main d’œuvre et les moyens mis en œuvre pour accueillir les humains qui, eux-mêmes, ne savaient pas s’ils s’installaient définitivement en France ou s’ils rentreraient au « pays ». En gros, on accueillait le travailleur mais on se fichait de ses conditions de vie et de son futur en France.

Les populations des générations suivantes ont été confrontées au changement économique qui a, ensuite, modifié les termes du discours politique. Ces personnes nées en France ont été paradoxalement mises en position d’étrangers, voire d’étrangeté. On le voit en particulier lorsque des politiques évoquent un « chez eux » – la Musulmanie ? –  en parlant de Français musulmans. En gros, on fait désormais sentir à des gens nés en France qu’ils n’y sont pas chez eux.

Que l’on évoque une immigration da la énième génération montre que la part étrangère persiste dans l’imaginaire collectif. Et les fantasmes autour du « grand remplacement » et de la « remigration » donnent l’impression que nous sommes condamnés à être éternellement des Français en sursis aux yeux de certains.

divercite.be: Quels sont vos projets ?

Mabrouck Rachedi :Mes projets sont d’écrire des romans de littérature générale, des romans jeunesses, des essais, des scénarios, des pièces de théâtre, des articles, des formats originaux pour les applications téléphoniques… Je ne me fixe pas de limites. J’aime aussi beaucoup animer des ateliers d’écriture car ils prolongent le partage né de la lecture.

Lorsque j’ai publié mon premier roman, j’avais dit à mon éditrice que si on m’enfermait dans une pièce, j’aurais dix ans d’écriture devant moi. Désormais, j’ai l’impression que j’en aurais vingt !

 

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