Iran : « entre résistance et créativité » Par Hanieh ZIAEI, politologue et iranologue

À l’équinoxe du printemps et avec l’arrivée des beaux jours, de nombreux pays, dont l’Iran, célèbrent le Nowrouz (qui signifie littéralement le nouveau jour). Cette fête, classée au patrimoine culturel immatériel de l’humanité (depuis 2019), porte en elle une histoire millénaire (de plus de 3000 ans) et symbolise non seulement la renaissance, mais aussi la victoire de la lumière sur l’obscurité. Dans le contexte iranien actuel et depuis la mort tragique de la jeune Mahsa Amini, de nombreuses arrestations arbitraires des manifestants et une vague successive d’infanticides et de féminicides, il serait aujourd’hui légitime de se questionner sur cette lumière du jour dans les ténèbres idéologiques de l’obscurantisme politico-religieux.

Dans un pays, doté d’une histoire millénaire, le peuple iranien a réussi jusqu’à maintenant à maintenir ses traditions ancestrales et sa richesse culturelle malgré le poids des dogmes et la propagande idéologico-islamique. Force est de constater qu’à travers les mouvements de contestations en Iran (depuis 2009), un esprit créatif émerge de la noirceur et tente de contourner les interdits non seulement par une narration visuelle et graphique, mais aussi à travers une musique engagée et des pratiques innovantes.

Depuis le mois de septembre 2022 leur vie quotidienne semble être un combat de tous les instants, entre les pesanteurs socio-économiques (cherté de la vie, inflation galopante et chômage croissant) et les nombreuses injustices et manquements aux droits humains (procès inéquitables, l’usage de la peine de mort, tortures physiques et psychologiques, censure) sans parler de la panoplie des contraintes d’ordre moral et religieux. Et pourtant, c’est dans ce contexte aussi sombre qu’on assiste, paradoxalement, à l’émergence d’un esprit vif, créatif et ingénieux.

La résistance créative

Le peuple iranien a réussi ce pari difficile de transcender et de sortir de l’image du martyre (figure héroïque par excellence dans le chiisme iranien) pour incarner le « résistant », avec cette originalité persane, de s’y inscrire de manière créative et politique face à un État anachronique. « Résister, en fait, c’est d’abord identifier l’ennemi », disait Jacques Tarnero (1994). L’ennemi est désigné par le peuple iranien : La République islamique d’Iran et le système théocratique illégitime.

Alors, comment s’y prendre, sans (encore) recourir à la violence et aux armes? L’utilisation de médiums artistiques semble être un des moyens, à la disposition des peuples, pour dénoncer l’oppression et les injustices, véhiculer un message fort, percutant et universel, porter des revendications d’ordre sociopolitique économique et culturel et de s’opposer ainsi aux injonctions du pouvoir absolu.

« Résister, c’est aussi de regarder attentivement là où les autres ferment les yeux, c’est rester vigilant, sensible, garder sa conscience aiguisée, avoir la volonté ferme de comprendre, de ne pas se laisser mener. Savoir dire non, savoir tenir bon » (Anneliese Knoop-Graf, 1994). Face au déploiement de la force physique et psychique et sans limite, exercée impunément par différents organes étatiques (de la fameuse Police des mœurs aux puissants Gardiens de la Révolution, en passant par les forces antiémeutes le comité des censeurs et les services secrets), le peuple iranien tient encore tête et s’exprime par une force créatrice qui se traduit sous plusieurs formes.

Performances créatives

Dès le mois d’octobre 2022, les fontaines d’eau de Téhéran et d’ailleurs en Iran, ont été teintées de la couleur rouge vif pour dénoncer le sang versé par la répression brutale, via une performance et une initiative spontanées d’un artiste anonyme. La peinture rouge a également été jetée sur les symboles publics étatiques et sur les visages des dignitaires iraniens (dont le portrait du guide suprême, Ali Khamenei et celui des martyrs) pour souligner le sang des contestataires et de toutes les personnes (enfants, femmes, hommes) qui ont été frappées par les foudres de la répression étatique.

Cette couleur, rouge sang, a aussi été utilisée sur les bancs des écoles et universités puisque le milieu éducatif, principalement les écoles pour filles, ont été également une cible majeure pour les autorités (l’affaire de l’usage du gaz chimique sur les lycéennes).

D’autres types de vidéos contestataires relayées sur les réseaux sociaux (principalement sur Instagram et TikTok), émergent et font aussi recours à une discipline artistique comme la danse. Récemment, cinq jeunes femmes iraniennes ont bravé une triple interdit, en dansant sur la fameuse chanson «Calm Down» de Rema, sans porter le voile obligatoire et en portant des vêtements serrés au corps, laissant voir leur nombril et en se filmant dans une vidéo, largement diffusée sur la toile, et ce en la date hautement symbolique de la journée internationale des droits des femmes (8 mars 2023).

Des arts visuels à la musique engagée

Le slogan « Femme – Vie – Liberté » devenu un véritable mouvement de contestation, a été repris à travers une large production créative par de nombreux artistes, principalement en arts visuels (peintres, graphistes, dessinateurs, caricaturistes) se sont donnés à cœur joie. Ce slogan a aussi été véhiculé (et l’est toujours) dans l’espace public iranien via l’utilisation du fusain et des pochoirs conçus spécifiquement à cet effet. À l’extérieur du pays, une série d’artefacts ont été aussi massivement produits et sont en circulation. Ce slogan a d’ailleurs été initialement utilisé dans la chanson « Baraye » de Shervin Hajipour, repris depuis sa diffusion en ligne, par de nombreuses personnes, soit en anglais, soit en français (aussi par des artistes québécois) ou en persan (par des artistes comme Golshifteh Farahani et Marjane Satrapi).

Considéré comme l’hymne officieux de la contestation en Iran, le titre du chanteur pop iranien, a été récompensé, lors de la 65e cérémonie des Grammy Awards (2023), pour la meilleure chanson pour le changement social (Best song for social change).

À travers les âges jusqu’à son histoire contemporaine, le peuple iranien porte dans son verbe les paroles des chants engagés et politiques (Farhad Mehrad, Mohammad-Reza Shajarian, Fereydoon Forooghi, Jamshid Jam) et puise dans les vers de ses poètes (Omar Khayyâm, Mehdi Akhavan Sales, Mirzadeh Eshghi, Amir Hushang Ebtehaj) et poètesses avant-gardistes (Forough Farrokhzad, Simin Behbahani, Parvin E’tesami, Tahereh Ghoratolein) pour continuer à dénoncer la culture d’oppression existant dans le pays depuis des siècles. De la poésie persane au rap iranien, aujourd’hui ce sont aussi des rappeurs engagés comme Toomaj Salehi (en prison depuis le mois de septembre 2022), qui continuent à mettre en lumière les maux de la société iranienne et à dénoncer le déploiement de la répression dans le pays, tout en encourageant le peuple à ne pas rester silencieux face aux injustices.

Le peuple iranien a certes été réduit au silence sur plusieurs générations depuis l’avènement de la République islamique d’Iran (1979), toutefois, la machine de propagande islamique ne semble pas et plus fonctionner sur une majorité de la population et d’une jeunesse 2.0, éduquée, alerte et consciente de sa condition précaire, injuste et fragile. « Créer, c’est résister », soulignait le philosophe Gilles Deleuze.

 

 

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