Michel Staszewski est historien, membre de l’Union des Progressistes Juifs de Belgique (l’UPJB). En juin dernier, il a publié un ouvrage aux éditions du Cerisier « Palestiniens et Israéliens. Dire l’histoire, déconstruire mythes et préjugés, entrevoir demain ». Nous l’avons rencontré et il a accepté d’évoquer pour nous la situation dramatique qui se joue au Proche-Orient.
Entretien
DiverCite.be: Michel Staszewski quel est votre sentiment suite à l’actualité que nous connaissons une de fois plus et qui ébranle Israël et la Palestine ?
Michel Staszewski : Je suis triste. C’est terrible. Je ne sais pas si c’est le Hamas ou d’autres combattants d’autres factions, mais en tous les cas, je n’aurais jamais cru cela possible. S’attaquer comme cela à des victimes innocentes, c’est pour moi un crime de guerre. Même si je n’ignore pas ce que peut-être le siège de Gaza qui dure depuis des années. J’ai écrit un livre qui vient de paraitre aux éditions du Cerisier «Palestiniens et Israéliens : Dire l’Histoire, déconstruire mythes et préjugés » et je consacre un large chapitre à Gaza et à ce que ce territoire vit depuis 1948. Je suis donc très conscient de cela. Néanmoins, ce que le Hamas, ou ceux qui ont commis ces actes, ont fait, le payeront très cher. On ne sortira pas de ce conflit par une solution militaire alors que les Israéliens sont tellement plus forts.
Je ne peux pas soutenir les actes qui ont été commis, mais en même temps, je ne me pose pas en professeur de la morale parce que je suis très loin de vivre la souffrance des Gazaouis. Je fais une distinction entre les actes et les personnes et je ne pose pas de jugement moral sur les personnes.
Ceci étant dit, encore une fois, je ne peux pas soutenir des gens qui s’attaquent à des innocents. Ceux qui ont pris des otages, nous savons pourquoi ils l’ont fait, c’est une monnaie d’échange contre des prisonniers politiques palestiniens retenus en Israël. Eux aussi sont en quelque sorte les otages de l’État israélien et en bien plus grande quantité depuis bien longtemps.
DiverCite.be : Benjamin Netanyahu laisse depuis des années la situation se dégrader dans les territoires, refusant d’entamer avec l’Autorité palestinienne un vrai travail pour la création de deux États. Sa responsabilité n’est-elle pas elle aussi engagée dans ces terribles événements ?
Michel Staszewski : Bien sûr, tout est fait pour entretenir le désespoir chez les Palestiniens et cela mène à des actes désespérés. Cela fait des années que c’est bloqué. Le processus d’Oslo était censé durer 5 ans et être réglé en 1999. Nous sommes en 2023 et rien n’a avancé.
Netanyahu, idéologiquement, n’a jamais accepté les accords d’Oslo. Selon moi, il a joué un rôle dans ce qui a amené à l’assassinat de Yitzhak Rabin, mais il n’est pas le seul. Il existe un courant autour de lui. Ici nous sommes dans une fuite en avant d’Israël. Fuite qui est rendue possible grâce à la complicité des États-Unis et de l’Union européenne. J’ai dit et écrit qu’Israël est un colosse aux pieds d’argile. Il dépend des Américains et de la complicité européenne. L’UE pourrait du jour au lendemain, en créant un blocus économique, mettre l’économie israélienne à terre. Et elle devrait le faire, car des crimes contre l’humanité sont commis sans arrêt à commencer par le crime d’Apartheid qui est établi depuis longtemps, notamment par le tribunal Russell sur la Palestine en 2010.
Tout cela est reconnu aussi par Human Right Watch, Amnesty International ou encore l’ONG israélienne B’Tselem. L’ONU également en 2017, mais le dossier a été glissé dans un tiroir. Nous sommes donc dans une situation où l’État d’Israël commet des crimes de guerre sans arrêt et un crime contre l’humanité qui s’appelle l’Apartheid et les Palestiniens sont abandonnés à leur sort. Aujourd’hui, quand on voit la réaction de l’Union européenne, excusez-moi de le dire ainsi, mais c’est à vomir. L’UE a décidé de suspendre son aide humanitaire.
DiverCite.be : Les Israéliens, un peu plus éloignés de la frontière avec Gaza, connaissent-ils l’ampleur du désespoir dans lequel sont plongés les Gazaouis ?
Michel Staszewski : J’ai parfois des contacts avec des Israéliens qui sont des opposants et des antisionistes, mais j’ai aussi des contacts avec d’autres personnes de manière directe ou indirecte, je lis aussi des déclarations et il faut reconnaitre que dans la grande majorité, ils sont dans le déni. Ils ne veulent pas savoir. Ils vont dans les territoires occupés. Il faut savoir que comme ils font leurs services militaires ils y vont forcément un jour ou l’autre. Bien sûr ils n’entrent pas en contact avec eux de manière égalitaire. Ils n’ont pas de contact humain puisqu’ils sont là comme force d’occupation. Je me souviens d’une cousine qui a dit « je ne comprends pas pourquoi les gens de Gaza nous envoient des missiles alors qu’on leur a offert la liberté en 2005 ». Voilà ce auquel elle croit. les médias israéliens dominants entretiennent une peur irrationnelle et un racisme institutionnalisé «ne pas faire confiance aux Arabes, il n’y a que l’armée pour nous défendre, etc.». Ils sont coincés dans une idéologie qui se traduit par « si on n’est pas juif, on est dangereux ».
DiverCite.be : Les médias israéliens véhiculent l’idée que les Palestiniens vont bien et ne connaissent aucun problème ?
Michel Staszewski : Je crois qu’ils ne se posent même pas la question ! L’important c’est que « nous juifs israéliens nous vivons bien ».
DiverCite.be : Beaucoup d’Israéliens pourtant ont quitté l’État hébreu ces dernières années ?
Michel Staszewski : On estime à environ 1 million d’Israéliens expatriés actuellement sur 7 millions de juifs israéliens qui ne veulent plus y vivre. Pas forcément pour des raisons idéologiques, mais la plupart simplement parce qu’ils se rendent compte que la vie est peut-être plus facile ailleurs. L’État d’Israël est un état ultralibéral avec énormément d’inégalités. Il y a des gens qui partent simplement pour ne pas faire le service militaire et d’autres pour d’autres raisons encore… Parmi ceux qui restent, il y a des extrémistes messianistes. On a dans le gouvernement des gens qui ne sont pas vraiment des politiques, mais des religieux messianistes. Ils ne raisonnent pas tactiquement ou stratégiquement comme Netanyahu. Ce dernier a, à peu près, les mêmes idées que Bezalel Smotrich ou Itamar Ben-Gvir les plus extrémistes du gouvernement. Netanyahu reste un tacticien. Il sait jusqu’où il peut aller et où il doit s’arrêter.
Aujourd’hui dans le gouvernement, il y a au pouvoir des gens qui ont beaucoup de pouvoir puisque certains sont ministres de l’Intérieur, des Finances ou chargé de l’administration civile de la Cisjordanie. Des gens qui sont extrêmement racistes et qui sont éradicateurs. Pour eux, il faut chasser les Palestiniens, les tuer éventuellement, en tous les cas, les faire se tenir tranquilles à tout prix.
DiverCite.be : Comment le pays peut-il continuer avec les mêmes objectifs que ceux du passé ?
Michel Staszewski : Israël est de plus en plus dans une impasse et, malheureusement, la majorité des Israéliens ne s’en rend pas compte. Les grands mouvements qui sont formés par des centaines de milliers de manifestants qui revendiquent « la démocratie », comme ils disent, c’est en réalité pour préserver la démocratie entre Juifs. La majorité d’entre eux ne réalise pas, ou ne veut pas voir, que les Palestiniens des territoires occupés par Israël depuis 1967, qui constituent près des trois quarts des Palestiniens vivant sous le contrôle de l’État d’Israël, n’ont aucun droit politique.
DiverCite.be : Comment voyez-vous la suite de ce conflit ? Une reconquête des territoires occupés est-elle dans les objectifs de l’État hébreu ?
Michel Staszewski : Je ne crois pas. Ça va de nouveau se calmer sans doute, mais combien de souffrances, de handicapés à vie et de traumatisés ? Sous la pression des États-Unis et de l’Union européenne, les Israéliens vont accepter de faire un compromis. Ils vont sans doute même accepter de libérer des prisonniers pour récupérer les civils kidnappés et puis cela va repartir pour un tour. L’état de survie dans lequel se trouvent les Gazaouis est insupportable. Les morts vont engendrer encore plus de haine.
Pour aller plus loin, lire le nouvel ouvrage de Michel Staszewski: "Palestiniens et Israéliens. Dire l’histoire, déconstruire mythes et préjugés, entrevoir demain". 1948-2023. L’État d’Israël commémore ses 75 ans d’existence. Un anniversaire qui renvoie à tant de questions : Qu’est-ce que le sionisme ? Quelle est son histoire et quelles sont ses diverses tendances ? Quelle place cette idéologie occupe-t-elle dans la spirale de 75 ans de violence à l’égard des Palestiniens ? Pourquoi la communauté internationale est-elle à ce point silencieuse ? Pourquoi depuis tant d’années tant de résolutions de l’ONU condamnant l’État d’Israël restent-elles toujours lettre morte ? Pourquoi la critique des politiques de l’État d’Israël est-elle assimilée à de l’antisémitisme ? Comment entrevoir demain ? Contrairement à une opinion très répandue, le conflit opposant Palestiniens et Israéliens, ainsi que sa très longue durée sont tout à fait explicables. Mais pour y voir clair, il est nécessaire d’en parcourir l’histoire, d’en revenir aux faits et de démonter les mythes et préjugés qui empêchent de comprendre l’impasse dans laquelle Palestiniens et Israéliens restent enfermés. C’est ce que Michel Staszewski se propose de faire avec son ouvrage Palestiniens et Israéliens. Dire l’histoire, déconstruire mythes et préjugés, entrevoir demain fraîchement sorti aux éditions du Cerisier. Historien, enseignant, il est aussi un militant indéfectible depuis plus de cinquante ans pour une paix juste entre Palestiniens et Israéliens. |