Charleroi, ville de diversité construite dans le labeur et la douleur

©Photo: Carolographie, FB

Il y a des villes qui restent marquées au fer rouge par leur histoire passée. Glorieuses ou malheureuses, leurs âmes sont comme habitées par des démons immortels qui survivent à tout y compris à leur légende. Charleroi est de ces villes. La capitale du « pays noir » n’a plus de mines de charbon en exploitation. Pourtant, elle reste dans l’imaginaire collectif la ville industrielle par excellence, celle de la sidérurgie ou ce qu’il en reste, de la verrerie, des produits chimiques ou des constructions électriques. Ces métiers, conjugués à l’extraction de la houille, firent d’elle un temps l’une des villes les plus riches du pays, contribuant à faire de la Belgique la deuxième puissance industrielle au monde.

Mais Charleroi, comme n’importe quelle autre ville, ce sont d’abord des histoires de femmes et d’hommes. Par leur origine locale ou lointaine, dans un élan modeste ou une immesurable contribution, par le travail des bras ou celui de la pensée, ils ont forgé cette ville, par leur engagement, leur volonté et leurs sacrifices. Pour retracer ces parcours, nous aurions pu remonter à la première année d’édification de la ville, le 3 septembre 1666 (c’est dans  un registre paroissial conservé aux archives de l’Etat à Mons que l’on retrouve la note) mais pour évoquer sa diversité culturelle, c’est au 19e siècle que l’on doit s’arrêter.

Charleroi au zénith

Difficile pour la jeune génération actuelle de le concevoir mais Charleroi fut riche, très riche. Tout a commencé, notamment, grâce à la famille Cockerill, des Anglais du Lancashire, un comté au nord-ouest de l’Angleterre.

Cockerill, un nom qui aujourd’hui résume la période industrielle de la Wallonie. Et dans la famille Cockerill, j’appelle William. Né en 1759, il s’installe en Belgique, encore française, après avoir bourlingué dans toute l’Europe, en passant par la Russie et la Pologne. Il n’arrive pas les mains vides, il apporte avec lui des inventions britanniques (non brevetées sur le continent) et fonde une des plus grandes compagnies européennes actives dans le textile.

En Angleterre, cette modernité dans la fabrication est déjà bien huilée mais en Europe continentale, la révolution industrielle, c’est d’abord par la Belgique qu’elle passe. William Cockerill fait donc de la future Belgique le berceau de ses ambitions d’entrepreneur. Si William développe la mécanisation de filatures de laine verviétoises, lance à Liège des usines assurant la production industrielle de machines qui bouleverseront divers secteurs dans leur mode de fonctionnement, c’est la deuxième génération des Cockerill, par l’intermédiaire de son fils John, que Charleroi devient une force industrielle. Ce dernier achète des charbonnages et des laminoirs avant de commencer à ériger la construction d’un haut fourneau. L’histoire, le monde ouvrier carolo et  les vagues migratoires feront le reste et construiront le faste de la ville.

Le 8 août 1956 à Marcinelle.

Le 8 aout 1956, il y a 65 ans, survenait la catastrophe du bois du Cazier à Marcinelle (Charleroi).

262 mineurs, issus de douze nationalités différentes, meurent asphyxiés et ensevelis après une explosion dans la mine du Bois du Cazier, charbonnage situé à Marcinelle, dans la banlieue de Charleroi. Cette catastrophe résume à elle seule les contradictions de la société industrielle d’après la deuxième guerre mondiale, une société qui se bâtit avec des desseins profondément antinomiques. Pour les capitaines d’industries qui déploient leurs empires, tout est à faire ou refaire, tout s’achète et se vend jusqu’aux bras d’hommes vivant dans la misère, dans leurs contrées méridionales. En Méditerranée, ils sont nombreux à vouloir partir pour répondre à cet appel. Il se pressent pour signer un contrat, parfois d’une croix, qui les enterre d’interminables heures dans les tréfonds de la terre.

Et ce matin du 8 aout 1956, 136  Italiens, 95 Belges, 8 Polonais, 6 Grecs, 5 Allemands, 3 Hongrois, 3 Algériens, 2 Français, 2 Russes, 1 Anglais et 1 Hollandais ne remonteront plus de leur labeur dans le ventre de la terre, avalés définitivement par elle. Cette catastrophe mondialement évoquée mettra en lumière le drame et les conditions de travail inhumaines des ouvriers mineurs. L’Italie, avec 136 morts, est le pays qui aura payé le plus lourd tribut. Une prise de conscience qui mettra en suspens la convention signée entre la Belgique et l’Italie dix ans plus tôt, le 23 juin 1946.

Charleroi et l’addition du passé…

Au sortir de cette épopée industrielle, l’image de la ville est écornée par d’autres maux. Les scandales politiques, la gestion parfois douteuse de certaines activités publiques, la précarité d’une partie de sa population, une criminalité un temps présentée comme la plus importante du royaume, lui ont valu une réputation des plus sombres. Une nouvelle génération veut croire et convaincre qu’on peut y être heureux quand même. Ses quartiers populaires et sans végétations, la désertification des ses quartiers commerciaux autrefois achalandés, la crise, les crises successives dans une ville qui ne pouvait en subir une de plus la rend très peu séduisante mais comme l’écrivit un jour la dramaturge française Françoise Dorin :Il vaut mieux être à Charleroi avec l’être qu’on aime qu’à Venise avec celui qui vous ennuie.

 

 

 

N'hésitez pas à partager !

Un commentaire sur « Charleroi, ville de diversité construite dans le labeur et la douleur »

  1. Coucou Malika,
    Merci beaucoup pour ce bel article couvrant une des villes qui m’a vu grandir. Charleroi à cependant une « humanité » que je n’ai pas retrouvé dans d’autres villes du pays. La diversité historique de sa population a sans doute bien aidé. Je me souviens que mes amis étaient italiens, marocains, algériens, tunisiens, polonais, turcs, tchèques, grecs etc. Bien sûr il y avait des tensions, mais pas plus qu’avec les Belges.
    Ayant vécu une partie de ma vie à Anvers, je peux aujourd’hui affirmer que Charleroi faisait figure de « bon enfant » en comparaison. Mais bon, en tant que ville ouvrière, et donc historiquement de gauche, ceci explique sans doute cela.
    Doux dimanche à toi ☀️
    Et merci encore 🙏

Laisser un commentaire

Qu’elle s’affirme fièrement, qu’elle choque, crispe ou divise, la diversité est une réalité incontournable de nos sociétés. Elle trame nos régions, villes et quartiers et donne à voir un monde où les mobilités humaines se sont intensifiées. Divercite.be est un média belge francophone qui est né pour répondre au besoin de décrypter et d’analyser ces nouvelles réalités. Sa ligne éditoriale est entièrement et exclusivement consacrée à la diversité culturelle, ethnique, cultuelle ou de genre. Nouveau dans le paysage médiatique numérique, nous avons besoin de vous pour aller plus loin dans le travail que nous menons.
Soutenez-nous en vous abonnant ! S’abonner, c’est permettre à un nouveau journalisme d’enrichir le débat public par une vision aussi objective et sans concession, qu’humaine et proche de chacun. Divercite.be ne court pas après le buzz mais relaye l’actualité telle qu’elle est, sans parti pris.
Abonnez-vous à partir de 5 euros par mois ou 59 euros par an. Vous avez aussi la possibilité de découvrir uniquement les articles qui vous intéressent pour 1 euro.
Qu’elle s’affirme fièrement, qu’elle choque, crispe ou divise, la diversité est une réalité incontournable de nos sociétés. Elle trame nos régions, villes et quartiers et donne à voir un monde où les mobilités humaines se sont intensifiées. Divercite.be est un média belge francophone qui est né pour répondre au besoin de décrypter et d’analyser ces nouvelles réalités. Sa ligne éditoriale est entièrement et exclusivement consacrée à la diversité culturelle, ethnique, cultuelle ou de genre. Nouveau dans le paysage médiatique numérique, nous avons besoin de vous pour aller plus loin dans le travail que nous menons.
Soutenez-nous en vous abonnant ! S’abonner, c’est permettre à un nouveau journalisme d’enrichir le débat public par une vision aussi objective et sans concession, qu’humaine et proche de chacun. Divercite.be ne court pas après le buzz mais relaye l’actualité telle qu’elle est, sans parti pris.
Abonnez-vous à partir de 5 euros par mois ou 59 euros par an. Vous avez aussi la possibilité de découvrir uniquement les articles qui vous intéressent pour 1 euro.
 
 

JE SUIS DÉJÀ ABONNÉ