Défense européenne : entre mythe et réalité

La Défense européenne : monstre du Loch Ness. Un sujet qui revient à la surface au gré des soubresauts de l’actualité internationale. Puis qui replonge aussitôt dans les oubliettes d’une opinion publique largement conditionnée par des médias approximatifs et partisans, avides de scoops émotionnellement juteux. Au gré de déclarations pompeuses et fracassantes, mais peu suivies d’effets, de dirigeants européens désireux d’occuper, le temps d’un soupir, l’espace médiatique. Car force est de constater que la défense européenne est au point mort, et ce, pour plusieurs raisons.

D’abord, évoquons la disparité des intérêts stratégiques des vingt-sept pays de l’Union européenne (UE). Il existe un monde de différence entre la vision stratégique d’un pays comme l’Estonie et celle de la Grèce, pour des raisons évidentes. Le premier a les yeux tournés vers la Russie, le deuxième s’inquiète des flux migratoires venant de la Méditerranée. Difficile donc, pour ne pas dire impossible, d’obtenir un consensus politique et stratégique.

Il y a ensuite la question des matériels militaires, chaque pays européen favorisant son industrie nationale. Les Italiens utiliseront des véhicules Iveco, les pilotes français voleront sur Rafale et le fantassin belge sera équipé d’armes légères provenant de la Fabrique nationale de Herstal. Une incroyable gabegie, là où les Américains disposent d’une industrie d’armement solide, robuste et cohérente.

Ajoutons à cela l’incroyable complexité des institutions européennes, et leur efficacité plus que relative. À titre d’exemple, citons le Comité militaire de l’UE (EUMC). Une structure dont seule la tête est permanente et qui a établi ses quartiers dans le campus de l’École royale militaire, avec pour mission de réunir périodiquement les Chefs de la défense des pays de l’UE. Une structure dont l’utilité reste à démontrer et dont le silence est assourdissant. En matière militaire, les processus décisionnels restent lourds et lents. Et pourtant, dans des circonstances exceptionnelles, le miracle est possible : en 2003, l’opération Artémis, menée tambour battant avec la France comme « lead nation », déclenchée en un temps très court, avait permis de restaurer la sécurité en Ituri (République démocratique du Congo) en exactement trois mois. Un bon point pour l’UE.

À l’inverse, le concept des battle groups européens (EUBG) s’est soldé par un échec (politique essentiellement). Notons au passage que si les organes militaires de l’EU brillent par leur impuissance, l’OTAN ne fait pas mieux, avec des structures pléthoriques : l’état-major militaire du SHAPE à Mons, le Commandement allié de transformation à Norfolk (Virginie) les états-majors opérationnels de Brunssum (Pays-Bas) et de Naples (Italie) ainsi que la pléiade de centres de formation et de centres d’excellence.  Sans parler du nombre tout à fait déraisonnable de quartiers généraux de Corps d’armée affiliés à l’OTAN…

On parle souvent d’une « armée européenne ». Une fausse bonne idée selon moi. Car la notion d’armée implique un haut niveau de standardisation, ce qui est une illusion dans des domaines sensibles comme la gestion des ressources humaines, le financement, le renseignement et le droit, notamment. Alors quoi ? So, what ?

Les quatre années passées au Corps de réaction rapide européen (deux ans comme Chef d’état-major puis deux ans comme Commandant) ont affermi ma conviction selon laquelle des nations européennes peuvent mettre sur pied, entretenir et faire fonctionner une structure militaire solide, fonctionnelle, cohésive, efficace et efficiente. Le malheur, c’est qu’il n’y a aucune troupe derrière ce bel édifice. Par le passé, l’Allemagne, la France et l’Espagne dédicaçaient chacune une Division, la Belgique, une Brigade et le Luxembourg une Compagnie de reconnaissance. Ces temps sont révolus. Quant à la Brigade franco-allemande, elle était officiellement rattachée à l’Eurocorps. Elle sert maintenant de réservoir de force aux deux nations contributrices aux seules fins de prélever du personnel pour alimenter les opérations extérieures. En définitive, chaque pays joue sa propre carte.

Et pourtant, il y a urgence, car pour reprendre les mots du défunt Président Chirac dans un autre contexte, « le monde brûle » : Ukraine, Israël, Yémen, Sahel, menaces sur Taïwan, gesticulations du dictateur nord-coréen, possible retour de l’isolationnisme américain si Trump revient aux affaires, la liste est longue. Isolés, les pays européens sont militairement des nains. Il est plus que temps de se réveiller, d’occulter les particularismes nationaux, d’accepter de céder un pan de souveraineté nationale. L’avenir de nos enfants est à ce prix.

Il n’est pas trop tard, mais il est temps. Il est minuit moins cinq. Dormez, bonnes gens…

Le lieutenant général E.r. Guy Buchsenschmidt est vice-président de la société européenne de défense est un ancien Commandant de l’Eurocorps.

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