Malik Oussekine : 6 décembre 1986 – Nahel Merzouk : 27 juin 2023. Le premier avait 22 ans, le deuxième 17 ans. Point commun ? tués par des policiers motards. Malik et Nahel, 37 ans sépare leurs morts. 37 ans de combat et des millions de francs puis d’euros qui n’auront finalement servi qu’à une redondance de l’histoire. Redondance pour eux et pour tous ceux morts depuis des décennies par le fait de la police.
Le 6 décembre 1986, le jeune Malik Oussekine est frappé à mort par deux policiers. Un choc pour toute une génération et pour celle qui suivra. Un garçon lambda, un étudiant tranquille. Malik aimait le jazz, il va souvent dans cette boite qu’il fréquente dès qu’il peut. Il étudie à l’École supérieure des professions immobilières et malgré la fièvre dont est prise la France ces dernières semaines dans le cadre de manifestations estudiantines, lui est resté à l’écart. Alors qu’il s’apprête à rentrer chez lui, trois policiers le poursuivent dans une rue de Paris. Il ne comprend pas ce qu’on lui veut, il a peur, il sait une « certaine » police pas tendre avec des jeunes comme lui, c’est-à-dire racisé, comme on dit aujourd’hui. On lui court après, il fuit, c’est un cauchemar, un véritable mauvais polar si ce n’était la vraie vie, celle qui est sur le point de se clore pour Malik.
Paul Bayzelon, un témoin, des yeux et des oreilles au temps où les smartphones n’existaient pas encore, qui rentrait chez lui dira à la presse peu de temps après la mort de Malik : “Au moment de refermer la porte après avoir composé le code, je vois le visage affolé d’un jeune homme. Je le fais passer, mais deux policiers voltigeurs parviennent à s’engouffrer eux aussi dans le hall d’immeuble, et se ruent sur lui. Ils le frappent avec une violence incroyable. Il est tombé, ils ont continué à frapper à coups de matraque et de pieds dans le ventre et dans le dos. La victime se contentait de crier ‘je n’ai rien fait, je n’ai rien fait’”, ». Il est frappé, massacré Malik, nous sommes sous l’ère de Charles Pasqua, ministre de l’intérieur le plus à droite depuis la Seconde Guerre mondiale. Malik Oussekine a de graves problèmes de santé, une insuffisance rénale qui nécessite des séances de dialyse régulière.
Il est jeune, certes, mais pas capable de tenir face à un déluge de rage et de violence incontrôlable. Nahel, lui, portait ses 17 ans avec insolence et arrogance. C’était un gamin de Nanterre, sans papa et dont une maman haute en couleur tentait d’en faire un homme, seule ou trop entourée. Nahel, c’est la génération du net, celle des youtubeurs, des influenceurs qui portent au pinacle le bling-bling, le clinquant, le luxe, le « m’as-tu-vu » comme je suis supérieur à toi ? Être vu, c’est exister.
Pourquoi Nahel conduisait sans permis une voiture de luxe ? Une Mercedes de Classe A, voiture prêtée par un ami le temps de rêver, de croire que pour lui aussi c’est possible d’être là, assis derrière ce volant d’une voiture qu’il ne pourra jamais se payer tant qu’il sera enfant d’une cité. Nahel a commis une infraction, grave, dangereuse, aux conséquences mal considérées pour lui comme pour les autres.
Nahel n’aurait jamais dû céder aux sirènes du consumérisme qui prend nos enfants dès le plus bas âge. Nahel a poussé à bout, jusqu’au bout, un flic en moto qui a cru qu’une arme pouvait effrayer un rêveur. Nahel sait qu’on ne meurt pas à 17 ans. Malik lui se battait tous les jours contre cette malformation, mais lui aussi croyait en la vie. D’ailleurs, il faisait du sport et il étudiait.
Malik et Nahel mais aussi tous les autres, ceux avant et depuis Malik, ceux avant et fatalement après Nahel. Des hommes jeunes ; très jeunes, rêveurs souvent, rêves de réalisation mais qui jamais, sans doute, n’auraient cru devenir un jour des symboles de la bavure policière.
