Manifestation contre l’éducation à la vie sexuelle à Bruxelles, les tabous plus forts que jamais

Ce jeudi 7 septembre, des personnes – en majorité des femmes – manifestaient à Bruxelles à l’appel de plusieurs associations. La raison ? En séance plénière du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, les élus adoptaient un décret instaurant des animations à l’éducation affective, relationnelle et sexuelle dans les écoles.

Ces cours concernent les élèves de 6e primaire (11/12 ans ) et de 4e secondaire (16/17 ans) qui, dès cette rentrée scolaire 2023, auront un cours obligatoire d’éducation sexuelle. Les autres seront sensibilisés à l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (EVRAS) via les cours traditionnels  comme les sciences, l’histoire, la géographie ou encore l’éducation physique.

Ce matin donc, rue des Colonies à Bruxelles, des slogans du genre « Evras on n’en veut pas », « Caroline Désir* démission » ou encore « liberté à nos enfants » se criaient à tue-tête alors que des policiers tentaient d’encadrer les protestataires. Selon les images tournées par les chaines de télévison belges, il s’agit essentiellement de femmes et de femmes voilées.

Que nous disent ces images ? Que nous proposent à la réflexion ces femmes qui refusent que leurs enfants puissent trouver à l’école l’espace qui n’existe nulle part ailleurs, et certainement pas au sein des familles, pour trouver des réponses et déposer ce qui peut-être habite douloureusement leur progéniture ?

Les parents des jeunes enfants et des adolescents présents à cette manifestation sont, selon toute probabilité, issus de la deuxième voire troisième génération de l’immigration musulmane. De jeunes trentenaires, peut-être quarantenaires. Une génération qui a été scolarisée, qui a vécu la mixité à l’école, qui a connu les tourments de l’adolescence et le rapport aux autres, parfois amoureux ou empreint de désir. A quelques exceptions, très peu peuvent affirmer avoir connu, au sein de la famille, un discours sincère et ouvert sur les questions de sexualité et d’affectivité.

Comment et pourquoi ces tabous persistent-ils au delà des générations alors qu’il est plus que jamais nécessaire de déconstruire les idées reçues sur ces questions qui régissent les rapports affectifs, émotionnels et sexuels ? Que justifie une telle opposition à une meilleure connaissance et à une meilleure éducation sur ces sujets dont le but est de garantir aux enfants un équilibre affectif et émotionnel dans leur vie future ?

Échappe-t-il, aux parents réfractaires à l’EVRAS, que ce que l’école ne fait pas sur la question de l’éducation sexuelle, Internet se charge déjà de le faire de manière incontrôlée et souvent incontrôlable ? Échappe-t-il à ces parents qu’aujourd’hui, un mot de quatre lettres et un clic suffissent pour imposer aux regards de nos plus jeunes des obscénités qui, si elles ne sont pas déconstruites et analysées, peuvent devenir des codes sexuels pouvant altérer gravement le rapport à l’amour et à la sexualité ?

Parmi les parents protestataires interrogés dans les médias, certains affirment que ces questions ne relèvent pas de l’enseignement scolaire mais de discussions qui devraient se tenir à la maison. Qui peut croire un instant que le soir autour du repas, parents et enfants de confession musulmane (et le problème n’est pas différent pour les familles conservatrices chrétiennes, juives ou non-croyantes) parlent ouvertement de sexualité, d’affectivité ou encore des pulsions nouvelles qui se révèlent chez leurs enfants ? Évoquer l’homosexualité, la transexualité ou la transidentité dans un cadre sécurisé, avec des enseignants formés et capables de trouver les mots idoines quand la situation se présente devrait être, à tout le moins, accueilli et discuté mais certainement pas dénoncé ou vilipendé lors de manifestations publiques.

Les tabous sur la sexualité et les graves violences auxquelles sont confrontées de nombreuses familles (et en cela toutes les couches de la population sont touchées, mais aussi toutes les cultures) doivent être abordées en tant que problème de santé publique et l’école peut offrir ce cadre de réflexion et peut-être une porte de secours pour les enfants qui en seraient victimes. En 2020, la presse hexagonale révélait les résultats d’un sondage réalisé par Ipsos pour l’association Face à l’Inceste qui démontre qu’un Français sur 10 a été victime d’inceste durant son enfance et que 10 ans est l’âge moyen des premières violences sexuelles. Certes, il s’agit d’une étude française mais il n’y a aucune raison pour que la réalité soit radicalement différente en Belgique.

Pornographie, inceste, attouchements… la société est également le reflet de ces dérives qui n’ont pour seul remède que la sensibilisation et l’éducation. Ne pas avoir les mots, ne pas arriver à décrypter le sens par où il faut commencer, commande de renforcer la sensibilisation.

Depuis plusieurs années, des initiatives internes à la communauté musulmane tentent de construire des espaces de discussions sur la sexualité. En France, l’émission ‘A Vos Sexualités’ sur Beur FM y consacre une réflexion quotidienne.  Cela devrait encourager les parents, tous les parents quelles que soient leurs origines ou confessions, à dialoguer sans tabou sur les programmes tels que ceux de l’EVRAS et non pas mobiliser des énergies pour les interdire.

*Caroline Désir est la ministre belge francophone de l’enseignement (PS).

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