Pourquoi la CEDEAO n’interviendra pas au Niger

À la suite du coup d’État conduit au Niger le 26 juillet 2023, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a annoncé, à grand renfort de tambours et de trompettes, sa volonté d’intervenir militairement au Niger, quoiqu’en dernier recours. Pour rappel, la CEDEAO a été portée sur les fonts baptismaux en 1975 et compte 15 États membres. Parmi ces membres, quatre États (Burkina Faso, Guinée, Mali et Niger) ont été « suspendus » suite à des coups d’État.

La CEDEAO, c’est avant tout une communauté économique, mais qui se targue d’intervenir militairement, si nécessaire, afin de rétablir la stabilité au sein de ses membres et/ou de la « région ».  À juste titre, l’annonce d’une intervention militaire a surpris bon nombre d’observateurs occidentaux. Et pour de bonnes raisons.

Des raisons politiques et diplomatiques tout d’abord.

En effet, seuls des pays comme le Bénin, le Sénégal, le Nigéria et la Côte d’Ivoire ont accepté le principe d’une telle intervention, en dépit de critiques internes. À l’opposé, le Mali et le Burkina Faso s’opposent formellement à ce genre d’expédition. De leur côté, l’Algérie, la Chine et la Russie plaident pour un retour au calme et un recours à la diplomatie. Dans le camp de l’Union européenne, très peu de réactions. La France s’accroche à l’idée que le gouvernement en place est illégitime et que l’Ambassadeur français n’a dès lors aucune raison d’accepter de quitter le territoire nigérien. Cerise sur le gâteau – si l’on peut dire – l’Union africaine rejette l’idée d’une intervention militaire et se désolidarise de la CEDEAO.

D’autres raisons.

Techniques cette fois, me font penser qu’une intervention militaire est une vue de l’esprit. En effet, en préalable à une éventuelle opération, il faudrait concentrer une « masse de manœuvres » au Nigéria, à proximité de la frontière avec le Niger. Or, les pays éventuellement contributeurs, ne disposent pas des capacités de projection nécessaires et indispensables. Même au sein de l’OTAN, à titre de comparaison, seuls les États-Unis sont capables de mettre en œuvre une capacité de projection par les airs conséquente. Et je doute fort qu’ils mettent les mains dans le cambouis d’une opération que La Chine et la Russie verraient vraisemblablement d’un mauvais œil. Quant à une projection par voie terrestre, n’y pensons pas.

Autre souci : la logistique. Norme communément admise : derrière un combattant, de l’ordre de cinq à huit logisticiens. Un défi titanesque. Car la logistique, c’est un peu de tout : transport, nourriture, eau potable, carburants et lubrifiants, munitions, appui médical, mécaniciens et techniciens, pièces de rechange, buanderie, service postal, etc.

Encore un autre souci : quid d’un minimum de standardisation des procédures, de la langue de travail, des transmissions et des questions légales (un sujet de plus en plus prégnant dans les conflits modernes). Pour avoir commandé le Corps de réaction rapide européen (Eurocorps), je mesure pleinement la difficulté d’organiser – dans un délai très court a fortiori – une force qui soit à la fois interarmes (infanterie, blindés, artillerie, génie, logistique et transmissions) et interarmées (dans le cas présent, forces terrestres, forces aériennes, cyber, communication stratégique). Sachant de surcroît que les militaires des pays contributeurs ont des cultures différentes. En outre, Niger et Nigéria sont par de nombreux aspects des pays très proches, ce qui n’exclut pas que des soldats nigérians rechignent à faire le coup de feu contre leurs « frères » nigériens.

Dernière pierre d’achoppement : l’unité de commandement. Qui commanderait une force d’intervention ? Comment répartir les positions au sein de l’état-major de la force ?

Une opération de la CEDEAO au Niger

Pour faire quoi ? En vertu de quel mandat ? Quelle stratégie ? Quels procédés tactiques ? Comment définir le but ultime (« end state ») ? Où s’arrêter ? Quelle limite ne pas dépasser ? Comment opérer sans déclencher un bain de sang face à des Nigériens copieusement « remontés » par les exhortations nationalistes de la junte ?

Au final, ces multiples obstacles sont peut-être une bonne chose et rendront au dialogue et à la diplomatie une place de choix dans la résolution de cette crise. La diplomatie ne résout pas tout, mais rien ne se résout sans la diplomatie. Il nous reste à espérer que les différentes parties impliquées garderont leur sang-froid et opteront pour tout… sauf la guerre et c’est un ancien militaire qui vous le dit.

Par le lieutenant général e.r. Guy BUCHSENSCHMIDT. Ancien Commandant de l’Eurocorps. Vice-président de la Société européenne de défense

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