Rencontre avec Lailuma Sadid, journaliste afghane exilée en Belgique

Lailuma Sadid est de la trempe de ces femmes pour qui la liberté est une valeur non négociable. Journaliste afghane qui «osa» se rendre dévoilée à une conférence de presse organisée par le président Hamid Karzaï (en fonction de 2001 à 2014), elle deviendra le symbole de la femme libre, mais aussi la bête noire des talibans. C’est une femme habituellement discrète, aussi douce qu’élégante, aussi courageuse que déterminée. Diversité.be l’a rencontrée à Molenbeek-Saint-Jean, commune où elle vit aujourd’hui. Elle nous raconte une partie de son histoire car, dit-elle : « je veux parler aussi pour toutes ces femmes qui dans mon pays ne le peuvent plus. »

DiverCite.be : Lailuma Sadid, parlez-nous de votre parcours de vie ?

Lailuma Sadid : Je suis née en 1980 à Kaboul dans une famille ouverte et pour qui l’égalité des sexes est importante. Mes parents estimaient que j’avais le droit de pratiquer les mêmes activités que mon frère, comme le karaté par exemple. Sauf que moi je n’ai pas accroché …. rires… Je dis souvent que selon la famille dans laquelle on est né en Afghanistan, le destin ne sera pas le même.

DiverCite.be : Pourquoi avoir choisi d’étudier le journalisme ?

Lailuma Sadid : Mon frère et ma sœur ont choisi la médecine mais moi j’avais peur du sang. Et puis je voyais ces journalistes à la télévision et je trouvais que c’était fascinant de pouvoir rencontrer et donner la parole à des gens si différents comme des ministres, des juges, etc. J’avais aussi envie d’offrir la possibilité de s’exprimer à des gens du peuple ou qui représentent le peuple.

DiverCite.be : Il y avait beaucoup d’étudiantes en journalisme ?

Lailuma Sadid : Non, malheureusement, c’était pendant la guerre civile. Lorsque j’ai terminé mes études en 2003, nous n’étions que quatre diplômées. Deux dans la section presse écrite et deux pour la section TV/radio. Mes amies ont fini par travailler comme enseignantes ou fonctionnaires dans un ministère. Moi, je voulais être journaliste, même si je savais que ce serait très difficile. C’est un pays tellement patriarcal que l’on autorisait les femmes uniquement à enseigner ou à soigner, mais rien d’autre.

DiverCite.be : Dans quel média avez-vous commencé ?

Lailuma Sadid : Un média de presse écrite. Je faisais des reportages et j’allais en conférence de presse. En 2003, je me suis rendue à une conférence de presse organisée par le service de presse du président Karzaï. Nous étions plusieurs journalistes femmes mais j’étais la seule Afghane. Les autres étaient des femmes reporters occidentales avec un voile sur les épaules et plutôt léger. La conférence de presse était en direct sur l’unique chaine nationale étatique du pays. A un moment, je lève la main pour poser une question et à la grande surprise générale, je la formule en farsi. Le Président me demande si je suis Afghane et je réponds positivement, en direct dans tout le pays, on me voit sans voile comme mes collègues de la presse internationale. Ce jour-là, j’ai commencé à recevoir des insultes et des menaces de mort envers moi et ma famille.

DiverCite.be : Pourquoi avoir choisi de vous rendre à cette conférence de presse sans voile ?

Lailuma Sadid : C’était, selon moi, le bon moment pour revendiquer la démocratie et le droit des femmes de choisir de le porter ou non. Je voulais, devant le Président de l’époque, ouvrir la voie de la liberté et être une sorte de modèle à suivre pour toutes les Afghanes qui voulaient s’émanciper de la burqa. Je refusais ce choix des hommes pour les femmes. On voulait instaurer la démocratie. Et bien, pour moi, elle  passait aussi par ce choix de me couvrir ou pas. Je refusais à ce moment là de le porter et je savais aussi que ce serait difficile. La première fois que je suis sortie ensuite, je devais prendre le bus, j’ai été agressée, insultée et menacée, mais j’ai voulu tenir bon.

DiverCite.be : Comment ont réagi les Afghanes à votre combat anti-voile ?

Lailuma Sadid : Certaines étaient choquées, d’autres m’ont trouvé courageuse. Je me souviens d’une dame qui est venue vers moi et qui m’a dit « ma sœur, tu as oublié de porter ton voile ! ». J’ai toujours dit aux femmes que je croisais à l’époque que c’était le moment ou jamais de se dévoiler puisque nous étions en marche pour installer une démocratie. J’essayais de les convaincre du bon timing, car après, selon moi, ce serait trop tard.

DiverCite.be : Comment se passait votre travail à la rédaction avec vos collègues masculins?

Lailuma Sadid : C’était une ambiance très étrange. Aucun ne m’a soutenue. J’ai su après que parmi eux il y avait des pro-talibans et d’autres pro-gouvernements. Mon rédacteur en chef m’a demandé de remettre le voile quand je me rendais en conférence de presse pour préserver la réputation de notre journal mais j’ai refusé. Mon mari et ma famille me soutenaient dans ce choix et il n’était pas question de revoir ma décision pour sauver la réputation du journal.

DiverCite.be : A quel moment avez-vous été physiquement agressée par les talibans ?

Lailuma Sadid : Pendant les régimes des talibans, comme ça l’est redevenu aujourd’hui, tout était fermé pour les femmes. Les familles brulaient leurs livres, ceux qui ne répondaient pas à leurs choix de lecture et on pouvait être arrêté si un livre «inapproprié»  était retrouvé dans nos maisons. L’accès à l’école, aux lieux publics… tout était interdit. Je m’ennuyais beaucoup, je tournais en rond et j’étais surtout motivée par le fait que dans ma famille on prônait l’égalité hommes et femmes et que par la force de choses, seuls les garçons allaient à l’école. J’ai alors décidé de faire la classe chez moi aux petites filles du quartier. Après quelques semaines, les Talibans l’ont su et ils m’ont envoyé un premier avertissement. Puis un deuxième et finalement, quand je n’ai pas renoncé, ils ont débarqué chez moi. Ils étaient une dizaine – la Brigade de la Promotion de la vertu et la Répression du vice – tous armés de Kalachnikov. J’ai été fouettée à plusieurs reprises. Mais même après cela, je n’ai pas voulu arrêter de donner des cours jusqu’au moment où ils m’ont prévenu que la prochaine fois ils intenteraient à ma vie et à celle de ma famille.

DiverCite.be : Vous avez travaillé à l’ambassade d’Afghanistan quelques années à Bruxelles puis vous êtes retournée à Kaboul. Pourquoi être à nouveau revenue en Belgique ?

Lailuma Sadid : On m’a accusée d’être une espionne pour la solde de l’OTAN. Ma vie était en danger et j’ai dû faire un choix. Cela fait 10 ans que je n’ai pas pu retourner dans mon pays.

DiverCite.be : Quels espoirs avez-vous pour votre pays ?

Lailuma Sadid : Je n’en n’ai pas. Le changement ne peut venir que de pressions fortes de l’extérieur mais aujourd’hui il faut reconnaitre que tout le monde a oublié l’Afghanistan. On est sur d’autres actualités comme l’Ukraine par exemple. Le changement ne peut venir que des citoyens eux-mêmes. Je crois en cette nouvelle génération de femmes qui n’est pas la même que la précédente et peut-être que le changement viendra par là. Elles sont courageuses et curieuses du monde.

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