Entretien avec Solaÿman Laqdim, le nouveau Délégué général aux droits de l’enfant

 

Photo Sylvain Reygaerts
Photo Sylvain Reygaerts

 

Cette année, la Belgique et le Maroc commémorent les 60 ans des accords belgo-marocains. DIMOBEL (Digital Moroccan Belgian Entrepreneurship Lab – Laboratoire digital de l’entrepreneuriat belgo-marocain) met en place une série d’activités dont un Forum académique Belgique-Maroc, le 8 et 9 février 2024 (pour le programme, voir ici)

DiverCite.be s’est associé à cet événement et vous proposera des portraits d’hommes et femmes belgo-marocains qui incarnent cette identité plurielle.

Aujourd’hui, nous vous proposons de rencontrer  Solaÿman Laqdim, nommé Délégué général aux droits de l’enfant  depuis bientôt un an. Il nous parle de son enfance, de son parcours et de son implication dans le monde de l’Aide à la jeunesse depuis sa sortie de l’université avec un diplôme de criminologue.

Entretien 

DiverCite.be : Solaÿman Laqdim parlez nous de votre enfance ?

Solaÿman Laqdim : Mes parents sont Marocains, originaires du Rif. Mon père est venu travailler dans les charbonnages, il rencontre alors ma mère et ensemble ils ont trois enfants. Je peux dire que j’ai grandi dans un milieu plutôt modeste. Mes parents n’ont pas été scolarisés. Mon père a appris seul à parler six langues. Il écrit et lis dans ces six langues. Il n’a malheureusement jamais été à l’école, mais je pense qu’il aurait pu faire de grandes études.

DiverCite.be : Des parents sévères ?

Solaÿman Laqdim : Non pas du tout. Très ouverts, même s’ils sont très pieux. Mon enfance était heureuse et j’étais aussi un enfant qui aimait l’école et qui avait des facilités d’apprentissage ce qui encourage à travailler. J’étais également très sportif. Je faisais du basket avec un bon niveau qui m’a conduit à jouer aux États-Unis. Même si je ne suis pas très grand je dis souvent « je suis un mec moyen qui s’est donné les moyens».

DiverCite.be : Pourquoi avoir choisi des études de criminologie ?

Solaÿman Laqdim : Je voyais autour de moi des connaissances qui progressivement devenaient ce qu’elles ne voulaient pas être, touchant à la drogue avec des allers-retours vers la prison. Je savais que c’était de belles personnes alors j’ai voulu comprendre le mécanisme qui fait que l’on bascule vers la délinquance. La criminologie m’a permis de comprendre certaines choses. J’ai ensuite poursuivi avec un diplôme en études spécialisées en coopération au développement.

DiverCite.be : Quand avez-vous commencé à vous intéresser au secteur de l’aide et de la protection de  la jeunesse ?

Solaÿman Laqdim : Assez rapidement. J’ai d’abord commencé dans des services d’AMO ( Aide en Milieu Ouvert), puis dans l’hébergement avec des jeunes placés par le juge parce qu’ils subissaient des situations de maltraitance, j’étais leur éducateur scolaire. J’ai fait un passage au Centre fermé d’Everberg avec des mineurs délinquants puis travaillé pendant 7 ans au parquet de Huy et de Liège comme criminologue dans la section jeunesse. Je me suis alors spécialisé dans ce secteur avant de devenir directeur adjoint au SPJ de Liège. Par la suite, je devenu conseiller de Rachid Madrane lorsqu’il est devenu ministre de l’Aide à la jeunesse puis directeur chargé de la prévention à Huy, Liège et Verviers pendant 4 ans.

DiverCite.be : Avez-vous souffert d’être un enfant issu de l’immigration ?

Solaÿman Laqdim : Je trouve au contraire que c’est le plus beau cadeau que la vie ait pu me faire. Avoir deux cultures est une richesse. Faire partie d’une minorité majoritaire parmi les minoritaires d’un pays est fabuleux. Être minoritaire d’une minorité, cela ne dérange personne mais quand on fait partie d’une grande minorité, on dérange. J’ai connu l’exclusion à différents niveaux. Je me faisais souvent contrôler par les autorités policières. Une année j’ai compté et je suis arrivé au chiffre de 24 contrôle en un an. J’ai même connu des amis qui se sont fait tabasser, c’était vraiment une période très difficile. Ceci dit, je continue de vivre l’exclusion. Le statut ne change pas grand-chose à cela et ce constat m’a rendu très sensible à la question des inégalités. Cela m’a aussi donné l’opportunité de voir le monde différemment. Je reste persuadé que l’on réalise son humanité à travers l’autre. L’aigreur, la rancune… tout cela ne change pas le monde. Par contre, quand on aide quelqu’un, on se sent mieux avec un résultat meilleur.

DiverCite.be : C’est difficile de trouver sa place quand on veut intégrer des postes à responsabilité ?

Solaÿman Laqdim : J’ai appris à me battre et cela m’a aidé à développer une capacité d’adaptation et de résilience. Ensuite, j’ai accepté de ne pas être aimé. J’ai été souvent considéré, comme beaucoup d’entre-nous, comme un Belge illégitime. Tout cela nous renforce et pour ma part, cela m’aide beaucoup dans mes nouvelles fonctions, car cela renforce mes valeurs et mon envie de me battre pour les autres.

DiverCite.be : Comment votre nomination a-t-elle été reçue ?

Solaÿman Laqdim : Il faut savoir que ma nomination a mis 9 mois avant d’être effective. Aujourd’hui, j’essaye d’être en cohérence avec mes valeurs et je les applique. J’ai reçu beaucoup de messages de félicitations lors de ma nomination, plus de mille, et encore aujourd’hui, à chaque fois que j’interviens dans les colloques ou les universités j’ai toujours des personnes qui viennent me féliciter et qui sont presque surprises que j’aie été choisi pour devenir le Délégué général aux droits de l’Enfant. J’ai réalisé aussi que j’étais devenu une sorte d’ambassadeur, de référent positif de ma communauté et presque à mon insu, mais je le fais avec beaucoup de plaisir. Nous sommes nés en Belgique de parents qui sont arrivés dans la plupart des cas analphabètes et nous avons la responsabilité de montrer que notre génération est capable d’assumer des postes à responsabilité. Notre devoir est aussi de renforcer le dialogue entre les communautés.

DiverCite.be : Parlez nous un peu de votre travail aujourd’hui comme Délégué aux droits de l’enfant, quelles sont vos priorités ?

Solaÿman Laqdim : Il y en a beaucoup, mais je peux vous donner quelques axes. La lutte contre la précarité. Aujourd’hui, tous les indicateurs sont au rouge au niveau des difficultés liées aux enfants. À Bruxelles, 1 enfant sur 4 vient sans repas à l’école. Une famille sur 4 vit sous le seuil de pauvreté. C’est cette variable là qui handicape le plus sérieusement les droits de l’Enfant dans notre pays. Quand on vit dans la précarité, il est difficile d’avoir accès au sport, à la culture et à l’offre scolaire plus globalement.

DiverCite.be : Que pouvez vous mettre en place pour remédier à cela ? 

Solaÿman Laqdim : Mon travail sera de renforcer ce qui existe et soutenir les initiatives qui en ont besoin. Il y a aussi de nouvelles politiques à développer en termes de logement, de statut administratif des parents, d’attention sur des publics spécifiques comme les ménages monoparentaux ou des jeunes qui risquent de basculer dans la marginalité. J’ai la chance d’avoir un dialogue permanent avec les autorités politiques et nous échangeons régulièrement sur les questions liées à l’aide à la jeunesse. C’est avec eux aussi que j’essaye de faire bouger les lignes. Un autre chantier est celui de la question migratoire. Des MENA (mineurs étrangers non accompagnés) dont peu de gens se soucient. Beaucoup de jeunes dorment dans les rues. Certains d’entre eux sont exploités sexuellement par des réseaux criminels ou dans le monde du travail. On retrouve aussi beaucoup de jeunes filles dans ces milieux là. J’ai rencontré un enfant de 9 ans qui dormait dans la Gare du Midi ou encore une jeune adolescente de 13 ans déjà dans un réseau de la prostitution. La situation est dramatique et à tous les niveaux. Je peux encore évoquer les violences familiales ou encore entre les jeunes et la police. Il y a donc un grand chantier devant nous.

 

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