La journaliste Anne-Cécile Huwart vient de publier « Enfant en danger » aux éditions Kennes, une plongée troublante dans l’univers de l’aide à la jeunesse

 

 

Anne-Cécile Huwart est journaliste indépendante en presse écrite et audiovisuelle. Durant sa carrière, elle a collaboré à différents médias belges comme Le Soir, Moustique, Médor ou la RTBF. En 2019, elle publiait « Mourir la nuit » ou l’histoire de deux hommes qui décèdent le même soir à Bruxelles. Un SDF dans un parking et « un nanti » dans une commune bourgeoise de la capitale. Aujourd’hui, c’est dans le monde de l’aide à la jeunesse que la journaliste nous plonge. « Enfant en danger » est un livre qui nous relate les aberrations dont sont parfois victimes les familles dont on enlève l’enfant pour un malentendu, un quiproquo, une erreur de communication ou un choix de vie hors les clous.

En Belgique, le service d’aide à l’enfance est principalement assuré par le Services de l’Aide à la jeunesse (SAJ), le Service de Protection de la Jeunesse (SPJ) et les tribunaux de la Jeunesse. Ces organes de l’Etat gèrent chaque année 40.000 dossiers. Leur mission est de protéger les droits et le bien-être des enfants en danger (ou auteurs de faits qualifiés d’infraction), mais les centaines de dossiers sur les bureaux des intervenants et des magistrats conduisent parfois, pour une simple méprise, à des drames qui détruisent des familles de manière irrémédiable. Les SAJ et les SPJ dépendent de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ils interviennent dans les situations où la santé, la sécurité, le développement ou l’éducation d’un enfant sont compromis. Mais, dans certains cas, l’acte posé par les juges est parfois plus destructeur encore lorsque le travail de compréhension d’une situation est bâclé ou pétri de préjugés.

Responsable de la mise en place des mesures de protection, de l’accompagnement des familles et de la coordination avec les écoles et d’autres services sociaux, les services d’aide et de protection de l’enfant ont la responsabilité du destin d’une famille. Anne-Cécile nous fait ici le portrait de quelques cas d’enfants qui n’auraient pas dû être ôtés de leur foyer ou qui ont été confiés à la garde d’un parent violent, voire incestueux.

Pour elle, tout commence par la rencontre avec une femme qui veut lui faire part de son histoire avec les services d’aide à la jeunesse, documents à l’appui. Cette rencontre sera le déclencheur pour tenter de comprendre l’organisation et le fonctionnement des SAJ et des SPJ.

Après avoir écrit un premier article pour le magasine Moustique, l’idée d’un livre a fait son chemin. Il est aujourd’hui écrit et publié aux éditions Kennes.

Entretien

Divercite.be : Comment la justice peut-elle se tromper de cette manière sur le placement d’un enfant ?

Années-Cécile Huwart : Les intervenants ont énormément de dossiers à traiter. Je pense qu’ils ont le nez dans le guidon. Quand je vois le temps que j’ai passé à éplucher tous ces dossiers a posteriori. On peut se tromper évidemment, mais ce qui m’interpelle le plus c’est le refus de vouloir entendre les arguments contraires et de continuer à s’entêter malgré les preuves que certains parents amènent. Continuer à foncer dans le mur au détriment d’un enfant, d’une famille, c’est un peu choquant. Pour moi, c’est une forme d’abus de pouvoir et il faut le dire.

Divercite.be : La grande majorité des enfants sont issus de milieux précaires ?

Anne-Cécile Huwart : Oui, en effet, la majorité des enfants placés sont issus de familles précaires. Dans ces familles, il y en a qui sont maltraitantes, mais on peut être maltraitant dans tous les milieux. La majorité de mes témoins ne vivent pas dans la pauvreté. C’est vrai que quand on manque d’argent, quand on manque de place, cela joue sur tous les aspects de la vie. Quand on n’a pas d’argent, c’est plus difficile d’élever ses enfants dans de bonnes conditions. L’Aide à la jeunesse ne va pas tout résoudre et il faut faire la distinction entre les vraies situations de maltraitance et des situations de pauvreté qui induisent des difficultés familiales et qui pourraient être résolues avec plus d’encadrement social et éducatif à l’intérieur des familles. Au lieu de cela, dans certains cas, on va placer l’enfant.

Un ancien directeur du SAJ me disait que, pour ces certaines familles précarisées, les enfants constituent souvent la seule fierté et la seule ressource et on leur enlève cela. Parfois, c’est justifié et il vaut mieux 1000 fois qu’ils soient en institution que dans une famille maltraitante, toxique. Je pense d’ailleurs que c’est la majorité des enfants placés, mais quand ce n’est pas le cas et quand il a peut-être d’autres solutions, pourquoi ne pas les appliquer ? Quand c’est possible, il vaut mieux faire un travail avec les parents pour améliorer leur situation afin d’éviter le placement des enfants.

Divercite.be : Comment autant de personnes peuvent se tromper dans le cas d’un enfant qui n’aurait pas dû être placé ? On vous sent parfois du côté des familles contre les Institutions.

Anne-Cécile Huwart : Je ne suis pas du côté des familles, mais du côté de l’humain, des faits et de la loi. Je ne suis pas avocate, je ne suis pas militante, je suis journaliste et j’ai analysé les dossiers en essayant de comprendre chacun des points de vue.

Divercite.be : Ce qui semble tellement ahurissant c’est l’erreur judiciaire qui se poursuit comme un effet ricochet et sur plusieurs années pour des familles.

Oui, je suis d’accord. C’est absurde. Les premiers contacts avec les services sont déterminants. Dans les affaires des mamans qui dénoncent des faits d’inceste, elles sont bien reçues dans un premier temps. Et puis il suffit qu’elle remette en cause une chose et là, il y a un point de bascule qui fait que tout d’un coup, ça se retourne contre elle.

 Divercite.be : Comment expliquer cela ?

Anne-Cécile Huwart : La surcharge des dossiers explique en grande partie cela. Ce sont des métiers très difficiles. Les intervenants sont confrontés à des situations souvent vraiment dramatiques dans les familles. Ce sont des décisions difficiles donc il y a beaucoup de burn out, beaucoup de turnovers dans cette institution.  Parfois, il y a aussi des réflexes qui sont plus de l’ordre du préjugé ou du dogme comme dans l’approche de l’aliénation parentale par exemple. Un parent dénonce l’autre quand il y a conflit et on dit que l’un manipule l’autre pour se venger. Bien sûr, des cas de manipulation existent. Mais il faut d’abord analyser s’il y a violence ou pas, ne pas mettre les deux parents sur le même pied, les forcer à dialoguer, si l’un des deux est violent voire incestueux.

Divercite.be : Y a-t-il des préjugés raciaux lorsque la police par exemple voit arriver des victimes d’origines étrangères qui veulent déposer plainte ?

Anne-Cécile Huwart : Oui, mais pas que là. Au sein même des SAJ et SPJ, cela existe, même si ce n’est bien sûr pas une généralité. J’ai retranscrit dans le livre l’histoire de Gloria. C’est une petite fille qui avait des problèmes d’allergies assez graves. La maman est guinéenne et elle avait étudié la biologie dans son pays. Son problème, c’est qu’elle ne parlait pas bien le français, elle parlait anglais. Elle s’est retrouvée à l’hôpital avec sa fille plusieurs fois à cause de réactions allergiques et on lui a proposé un suivi hospitalier. Ah un moment, elle voit que sa fille mange la même chose que tous les enfants alors qu’elle a des allergies alimentaires. Elle commence à poser des questions, mais la communication passe mal. Le ton monte, on l’estime folle et sa fille en danger si elle rentre à la maison. Ici, à la base, elle était venue pour de simples problèmes d’allergie et l’enfant sera placé en famille d’accueil ou elle restera des années. Tout a été fait pour écarter cette mère qui n’était pas maltraitante. Elle a fini par laisser tomber. Elle ne voit plus sa fille.

 

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