Le terrible désespoir des familles migrantes africaines en transit en Algérie

En cette fin de mois mai, en Algérie, le ciel est gris et il pleut de manière discontinue. Il fait frais et la nuit tombe vite. Dans les pays d’Afrique, la pluie reste un don, un cadeau inestimable, une question de vie ou de mort là où, dans le nord de l’Europe, elle déprime, devient sujet incontournable devant la machine à café.

Je suis à Béjaïa, ville construite en amphithéâtre que surplombent des montagnes abruptes qui tombent à pic sur la mer. En fermant les yeux, on peut imaginer sans peine certaines villes de la côté d’Azur : Cannes, Marseille, Cassis, Saint-Remy de Provence… Mais, après tout, n’est-ce pas la même école d’architectes qui imagina la Baie de La Ciotat et celle d’Alger ? La comparaison doit s’arrêter là.

Conscience écologique, gestion du patrimoine, rapport à l’autre, au monde et à la terre restent en marge des préoccupations. L’Algérien, dont le pays fut occupé jusqu’en 1962 est devenu, depuis, un Algérien migrant, bravant tout, jusqu’au risque ultime de perdre la vie pour quitter un pays qu’il estime sans avenir. Et si depuis 60 ans il a connu toutes les injustices, toutes les bravades, tous les actes racistes, toutes les marginalisations, toutes les exploitations au travail. Et s’il a connu les bavures policières, les bidonvilles, la misère extrême et le manque total de considération – jusqu’au mépris de ce qu’il est- aujourd’hui, à l’intérieur des frontières de son pays, le voilà, lui aussi devenu bourreau de plus faibles que lui.

Au centre des carrefours où le code de la route internationale n’est pas reconnu, à la sortie des nouvelles boutiques de contrefaçons aussi clinquantes que si elles vendaient des produits authentiques, sur les escaliers des esplanades des restaurants un peu améliorés ces dernières années, des familles de Nigériens et de Maliens attendent, dans le mépris général, l’aumône des chalands.

L’Algérien les déteste, les méprise, n’a, à leurs égards, que de la haine et de la colère. Femmes enceintes, enfants… des migrants venus là pour rejoindre l’Europe et qui découvrent en bout de course, après avoir traversé le désert que la mer est encore plus ardue à franchir. Alors ils vivotent, regardent d’en bas l’Algérien qui ne les voit pas, l’Algérien obnubilé par sa propre indigence, certes souvent moins profonde, mais indigence quand même.

Humain Rights Watch s’est intéressé au sort de ces Africains subsahariens et l’organisation révèle, dans un rapport publié en 2018 déjà, que la police algérienne était violente envers eux, les emprisonne de manière arbitraire, passe à tabac dans la plus grande impunité hiérarchique, refuse toutes demandes de récupération du peu d’argent ou d’effets personnels qu’ils possèdent. Séparer les familles ne leur pose aucun problème moral et les expulsions sont sommaires, arbitraires.

Au détour d’un boulevard, je m’émeus d’une petite fille d’à peine 2 ou 3 ans. Elle est frêle, probablement sous-alimentée. A l’évidence, elle manque de poids par rapport à son âge. Elle dort dans les bras de son père. Il est assis à même le sol avec sa femme et ses autres enfants qui courent, pieds nus, autour d’eux. Je jette un regard tendre sur l’enfant endormi, son père me la tend et m’exhorte à la prendre. Je ne peux pas, bien sûr. Il insiste, me la tend encore avec détermination. Ma fille me dit : «Il est prêt à te donner son propre enfant ?». Je n’avais aucun réponse à lui donner si ce n’est transformer sa question en affirmation.

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