L’inceste, le plus sournois des tabous

Sujet sensible, le plus tabou de nos sociétés : l’inceste ! Au-delà des frontières, il touche toutes les couches de la société, toutes les classes sociales, toutes les nationalités, cultures ou religions.

La Belgique n’est pas épargnée et comme dans de nombreux pays, il reste largement sous-estimé. Les statistiques ne donnent pas une idée de l’ampleur réelle du problème. Très souvent, les victimes n’osent pas dénoncer les abus. La honte, la peur des représailles, la manipulation psychologique qu’exerce l’agresseur au sein de la famille et la confusion face à des sentiments contradictoires sont les ingrédients qui participent au mutisme des victimes.

Maya (prénom d’emprunt) a aujourd’hui 23 ans. Une vie qu’elle essaye de construire malgré les traumatismes du passé. Dès son entrée dans l’adolescence, elle est devenue ingérable. Maya a obtenu son CEB, mais cela s’arrête là. L’école était devenue son ennemi. Problèmes de concentration, agressivité, rejet de toutes formes d’autorités… Ses absences scolaires régulières sont devenues récurrentes jusqu’à ne plus y aller du tout. Maya s’est mise à fréquenter des groupes de délinquants à Bruxelles. Drogues, prostitution, vols… À 16 ans, Maya avait déjà connu mille vies et pas les meilleures.

 Une famille nombreuse

Sept frères et sœurs dans un appartement exigu, Maya nous raconte que la première fois qu’elle a pu dormir seule dans sa courte vie c’était lorsqu’elle a été placée en institution. « Une nuit étrange, je n’ai pas dormi, c’était trop calme, mais après quelques jours j’ai pensé que je ne pourrais plus retourner chez moi ». L’inceste, c’est toute petite qu’elle l’a connu « j’avais 8 ans et mon frère 14 ans. Je savais que ce n’était pas bien, mais je ne savais pas pourquoi ce n’était pas bien et quels mots choisir pour en parler. Et d’ailleurs en parler à qui ? Mon père était chauffeur de taxi de nuit, on le voyait jamais et ma mère technicienne de surface, comme on dit, dans un hôpital où elle commençait très tôt le matin. C’était les ainés qui devaient s’occuper des plus petits… ». Ces attouchements dont a été victime Maya ont duré plusieurs années. Dans la salle de bain, les toilettes, la chambre quand ils n’étaient que deux… « il disait que c’était un jeu. Un jeu secret »

Un jour, elle devait avoir une dizaine d’années, une animatrice est venue proposer un petit film sous forme de dessins animés sur l’inceste « c’est ce jour-là que j’ai compris que quelque chose ne tournait pas rond chez moi. Le film disait qu’il fallait en parler à une personne de confiance. Parler ? Je venais de découvrir que ce que faisait mon frère était anormal, le monde s’effondrait autour moi ». Suit pour Maya une lente descente vers l’innommable. Les attouchements continuent mais maintenant elle sait que c’est interdit, qu’elle doit réagir, mais comment ? Elle devient le caïd de la cour de récréation, elle fait du mal aux autres, mais c’est surtout pour ne plus avoir mal « à son âme » dira-t-elle.

Entre-temps, le frère a quitté la maison, mais les traumatismes sont là. Personne dans la famille ne sait et donc personne dans la famille ne comprend pourquoi Maya est devenue délinquante. Son père a commencé à s’intéresser à elle lorsqu’il a été convoqué par la police puis par le juge de la jeunesse. « Je crois que c’est la première fois de ma vie qu’il m’a regardé en face pour me parler. Les mots ne sont jamais sortis de ma bouche. L’inceste, cela faisait trop loin maintenant pour en justifier mes placements en institution, mais je sais que c’est cela qui a fait de moi une gamine ingérable».

Les effets profonds et durables de l’inceste.

Maya n’est pas un cas isolé. Même si toutes les victimes ne dirigent pas les conséquences du traumatisme vers la société, il n’en reste pas moins qu’elles peuvent développer des traumatismes psychologiques graves qui conditionneront le reste d’une vie. Anxiété, dépressions, troubles alimentaires, difficultés relationnelles ou encore, comme pour Maya, plongeon dans l’univers sordide de la drogue et de la prostitution. L’inceste participe à l’image dégradante que l’on peut avoir de soi et à sa capacité d’ établir des relations saines.

Le système judiciaire belge reconnaît l’inceste comme un crime grave et punissable par la loi.

Les victimes ont le droit de porter plainte et de demander justice contre leurs agresseurs, mais il reste des défis à surmonter pour assurer une protection adéquate des victimes et une prévention efficace de ces abus au sein des familles.

Maya a pu mettre le mot inceste sur ce qu’elle vivait après une animation en classe,  l’éducation joue un rôle crucial dans la prévention car si Maya avait su plus tôt que l’acte était immoral et illégal, peut-être aurait-elle tiré, plus tôt également, la sonnette d’alarme.

Mettre en place des programmes éducatifs dans les écoles et les communautés pour informer les enfants, les adolescents et les adultes sur ce qu’est l’inceste, comment le reconnaître, comment obtenir de l’aide, etc. reste primordial. La levée de boucliers en septembre dernier, alors que le gouvernement annonçait la mise en place du programme scolaire EVRAS (Éducation à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle) laisse dubitatif quant à la prise de conscience de certains parents sur l’urgence de parler à nos enfants de tout et surtout de ce qui dérange. Encourager un dialogue ouvert et sans jugement, briser le silence, aider les victimes à trouver le soutien dont elles ont besoin doit faire partie des missions éducatives de l’école.

En Belgique, il n’y a pas de chiffres officiels sur lesquels s’appuyer pour en connaitre l’ampleur. On évoque le chiffre édifiant de deux à quatre élèves par classe touchés par l’inceste.

Miriam Ben Jattou, juriste et fondatrice de l’association Femmes de Droit s’était confiée à nos collègues de la RTBF en 2021. Elle affirmait alors que pour la seule année 2019, l’ASBL SOS Inceste Belgique  avait compté 1.255 appels téléphoniques, 453 entretiens et 61 nouveaux dossiers ouverts. L’inceste, un fléau que notre société n’embrasse pas encore suffisamment. C’est pourtant une urgence sur laquelle il faut travailler sans relâche, il y va de la santé mentale d’un nombre important de nos enfants.

Le psychanalyste Boris Cyrulnik affirmait « La famille, ce havre de sécurité, est en même temps le lieu de la violence extrême. » Maya a décidé de couper les ponts aves sa famille, « M’éloigner d’eux, du moins pour le moment, c’est la seule solution si je veux avancer ».

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