Olivier Deleuze, bourgmestre de Watermael-Boitsfort : « Je prône la discrimination positive pour les gens qui ont le plus de difficultés »

Olivier Deleuze, bourgmestre de Watermael-Boitsfort depuis 2012, co-fondateur d’écolo en 1981, député fédéral à plusieurs reprises, secrétaire d’État du gouvernement Verhofstadt de 1999 à 2003, coprésident de son parti de 2012 à 2015, nous a reçu dans son bureau de l’hôtel de ville pour évoquer avec nous sa vision de la diversité. En plus de ses fonctions de bourgmestre, il est aussi en charge de la diversité, l’égalité des chances et des droits des femmes.

La commune qu’il administre avec passion et dévouement depuis bientôt 10 ans abrite 2 % de la population bruxelloise. Commune très riche, son revenu annuel moyen par habitant est le plus élevé de la Région de Bruxelles-Capitale. Watermael-Boitsfort c’est aussi, le long du boulevard du Souverain et de la chaussée de la Hulpe, les sièges de multinationales comme le maitre verrier Glaverbel, l’entreprise de gestion des risques Marsh & McLennan Companies, mais aussi les banques BNPParibas, Steria, American Express, Keytrade Bank… Mais à l’heure où la diversité prend sa place dans le débat et les ambitions politiques, comment la commune la plus riche de la région de Bruxelles-capitale appréhende-t-elle cette diversité?

Vous êtes né à Saint-Josse, en 1954,  la commune actuellement la plus multiculturelle de Bruxelles. Quelle a été votre enfance et avez-vous côtoyé et grandi avec des enfants issus de la diversité ?

Je suis en effet né à Saint-Josse mais je n’y ai pas vécu. Mes parents vivaient, à ce moment là, à Auderghem. Puis ils ont beaucoup déménagé. J’ai plutôt grandi à Wemmel. J’étais un enfant plutôt turbulent qui aimait faire des bêtises avec mon frère du même âge que moi. Ma mère, peu sévère avec nous, elle l’était beaucoup plus avec notre sœur, trouvait cela touchant. On a ensuite habité rue Royale, en 1977. Il n’y avait aucun étranger à part deux ou trois épiciers turcs. Des sociologues nous avaient dit à l’époque :  « Ici, dans 10 ans, il y aura un système de ghettoïsation et d’homogénéisation. Un quartier turc ». On n’y croyait pas et on en riait même.

Justement, quels souvenirs gardez-vous de cette époque, au moment de cette mutation sociologique ?

Nous n’étions pas tous bleus, blancs, belges et ceux-là étaient regardés avec intérêts. Comme les écolos au parlement en 1981, des bestioles bizarres, c’est qui ceux-là ? (rire). Un autre souvenir marquant est celui que je garde du bourgmestre de Schaarbeek de l’époque, un certain Roger Nols, un vrai « pas gentil ».

Un peu raciste ?

Même très raciste. Je vous propose d’aller voir ses publications. Si pour nous l’arrivée des immigrés était perçue comme une curiosité, un intérêt sociologique, lui était carrément « pas sympa ». (Ndlr Le 31 décembre 1986, Roger Nols arrive à dos de chameau à l’hôtel communal de Schaerbeek. La scène sera  diffusée sur les ondes de la RTBF. Il caricaturait ce qui aurait résulté, selon lui, de l’octroi du droit de vote aux étrangers)

Quelle est selon vous la définition de la diversité et comment s’incarne-t-elle à Watermael-Boitsfort ?

Avant de répondre à cette question, je tiens à vous dire que les écolos ont été les premiers à proposer le droit de vote des étrangers pour les élections communales. Pour répondre plus précisément à votre question ; c’est difficile pour des gens d’accueillir « des autres » qui ne se sont pas comme eux. La pente naturelle de l’être humain n’est pas l’amour universel. Je ne me fais aucune illusion à ce sujet. Ceci dit, oui la commune est habitée par des gens qui viennent de partout.

La Fédération Wallonie Bruxelles est un tout petit territoire. Bruxelles, une ville moyenne comparée à d’autres villes à travers le monde. Ne la trouvez-vous pas foncièrement cloisonnée quand on sait qu’entre la chaussée de Gand, à Molenbeek Saint Jean, et l’hôtel de ville de Watermael Boitsfort, il y a moins de 10 km ?

Oui, vous avez raison. Je dirais même qu’entre les logements sociaux le Logis-Floréal (Association de construction et de gestion de logements sociaux ) et la Maison communale, il y a 200 m. La politique bruxelloise de l’habitat espère 15 % de logements sociaux dans toutes les communes bruxelloises. Le quota n’est pas atteint pour la plupart des communes. Chez nous, il est de 18,5 %. A Watermael-Boitsfort, la population a beaucoup changé ces dernières années. Il y a toujours les villas 4 façades avec piscine mais elles côtoient aussi les logements sociaux. Il y a des gens qui roulent en  Porsche et d’autres en Lada. Des gens différents mais tout le monde est le bienvenu. C’est aussi pour cela que nous avons créé un marché dans le quartier des Archiducs.

Lieu de cohésion sociale ?

En tous les cas on est plus obligé d’aller à la Chaussée de Gand pour trouver des aubergines à 1 euro. Mais si on veut acheter des champignons à 100 euros les 100gr c’est possible aussi.

Mais c’est une diversité qui ne se mélange pas ?

C’est vrai, elle ne se mélange pas mais elle est là. Ma première mission est de faire en sorte que ma commune fonctionne d’un point de vue administratif. La deuxième chose est que les gens se sentent bien ici et pour cela je fais en sorte que tout le monde puisse accéder à cette sérénité, tout le monde sans exception.

Quel est votre regard sur l’écologie, 40 ans après avoir co-fondé le parti politique.

D’un point de vue purement environnemental, on parle de plus en plus d’écologie et c’est donc une réussite. Rouler à vélo maintenant ça fait chic. A l’époque où j’ai co-fondé écolo c’étaient les pauvres qui roulaient à vélo. Par contre, entre ce qu’il faut faire scientifiquement et ce qui devrait se faire politiquement, il y a un écart qui ne diminue pas. D’un point vue social, par contre, c’est un sablier. Le gouffre entre les riches et les pauvres s’accroit. La société est beaucoup plus dure qu’avant.

Quels projets mettez-vous en place pour une meilleure diversité dans votre commune ?

D’abord, il n’y aucune discrimination. Tout le monde est le bienvenu mais comme les gens sont différents, les besoins et les attentes le sont aussi. Mais tout est possible et accessible. Bien sur, c’est plus facile quand vous avez un niveau socio-économique plus élevé par conséquent, je prône la discrimination positive pour les gens qui ont le plus de difficultés.

Comment ? Quelles sont les choses que vous mettez en place ? 

Comme je vous le disais, il faut par exemple un marché où on peut trouver des produits accessibles, comme dans les grandes communes populaires, mais aussi des marchés qui vendent des produits plus raffinés pour ceux qui peuvent payer. Je travaille aussi à favoriser des Maisons de jeunes et de quartier. Les personnes qui ont le plus besoin de l’État doivent pouvoir y avoir accès. Concernant Watermael-Boitsfort, il reste encore la question désolante du prix de l’immobilier mais elle est propre à tout Bruxelles. Ici, soit vous vivez dans un logement social soit dans un bien immobilier acquis il y a longtemps. Les loyers sont chers et pour la classe moyenne c’est pratiquement impossible de pouvoir s’y loger.

Si vous aviez une baguette magique, que changeriez vous pour une société plus inclusive ?

J’effacerai les peurs. Que les gens cessent d’avoir peur de l’autre. Cessent d’avoir peur de la différence et cela joue dans les deux sens. Favoriser une meilleure rencontre pour qu’ils prennent conscience de l’autre en réalisant que les gens sont différents. Vous savez, c’est la première fois que je fais un métier où je rencontre des gens différents de moi. Avant cela, je faisais un travail de bureau et les feuilles de papier ne parlent pas et acceptent tout ce qu’on écrit sur elles (rires). En ce qui me concerne : oui, je me sens francophone et je suis fier de l’être. Non pas sur un plan communautaire mais culturel. J’observe aussi, lorsque je célèbre des mariages, à quel point c’est homogène culturellement. Il y a peu de mélange finalement.

 

 

 

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