Entretien – Catherine Moureaux, bourgmestre de Molenbeek: « Mon père est dans mon cœur, pas entre ces murs »

Qui est Catherine Moureaux ? Fille de Françoise Dupuis, germaniste, qui fut Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique et de Philippe Moureaux historien, ministre à plusieurs reprises et très médiatique bourgmestre de Molenbeek-Saint-Jean pendant 20 ans. Elle est également l’héritière d’une lignée de personnalités issues du monde politique et de l’industrie. Mais Catherine Moureaux, c’est surtout une femme de convictions, à l’écoute de ses concitoyens et terriblement attachée à sa commune.

Quelle petite fille étiez-vous ? Sage et studieuse  ?

Au début oui ! Surtout en primaire. Par la suite, j’ai dû changer d’école et pense l’être devenue un peu moins. Je me souviens que je posais beaucoup de questions sur les métiers qui étaient utiles dans la vie. Un questionnement qui a duré assez longtemps. J’étais arrivée à la conclusion que les professeurs et les agriculteurs étaient ce qu’il y avait de plus important. Par la suite, je me souviens avoir dit à maman – j’avais 8 ans –  que je voulais devenir médecin.

Déjà le début d’une conscience politique ?

Je crois que oui. J’étais dans une réflexion sur ce qui pouvait être utile à la société. N’est-ce pas déjà une conscience politique ? Une ambition non marchande. Je ne sais pas si aujourd’hui les enfants réfléchissent de cette manière. Certainement que oui mais ce n’est pas si évident. Notre société est devenue une société de consommation à outrance. L’argent a pris tellement de place. Je me souviens d’un de mes professeurs qui était très critique vis-à-vis de la société de consommation et cela m’avait beaucoup marqué.

Bruxelloise ?

Oui, je suis née à Bruxelles et je me décris comme une régionale de l’étape avec des amitiés dans toute la capitale. J’aimais être avec mes amis wallons autant qu’avec les flamands. A l’époque, je jouais au basket. J’ai joué à un niveau assez élevé et donc j’allais un peu partout avec la nationale 3 féminine. Nous étions réunies avec les néerlandophones puis quand j’ai joué en régionale, là nous nous jouions uniquement en Wallonie.

 

 

« Bruxelles pouvait quand même être très élitiste.

                                                             A l’image d’ une centrifugeuse très délétère. »

 

Petite fille, vous aviez des amis issus de la diversité ?

Ma meilleure amie de l’époque, qui l’est encore aujourd’hui, est métisse. Notre amitié est née lorsque nous avions 5 ans. En 5ème primaire, lorsque j’ai changé d’école, j’ai découvert un autre environnement. Là, j’ai pris conscience des clivages socio-économiques et culturels. J’ai découvert que l’enseignement à Bruxelles pouvait quand même être très élitiste. A l’image d’ une centrifugeuse très délétère. A ce moment-là, très vite, j’ai perdu de vue des gens et j’ai compris aussi comment on pouvait être traités si on était d’une origine étrangère et si on avait de l’argent ou pas. J’avais 13 ans.

Cela vous révoltait ?

Complètement mais c’est plus tard que j’ai mieux compris. Notamment en lisant des auteurs qui en parlaient. L’avantage c’est que je l’avais déjà observé avant.

Vous vous êtes tournée ensuite vers la médecine. Songiez-vous à ce moment à une carrière politique ?

Je suis médecin et je le resterai toujours. La médecine fait partie de moi et même dans ma manière d’exercer la politique je reste médecin et les gens autour de moi pourront en témoigner (rires). Dans une réunion, je suis capable de repérer celui qui devrait aller tout de suite consulter son médecin. Je peux arriver en retard à une réunion parce que je dois  aider une personne dans la rue par exemple.

Ce sont là vos multiples casquettes ?

Oui, mais la sociologie de la médecine m’a toujours beaucoup intéressée. Déjà comme jeune médecin, je voulais travailler dans une Maison médicale. C’est un rêve que j’ai pu réaliser avec un très grand monsieur,  Michel Roland (ndlr: médecin généraliste, professeur à l’ULB, fondateur des maisons médicales). Avec lui, nous étions dans une pratique à plusieurs niveaux dont celles d’une pratique bilatérale avec le patient et multilatérale avec la famille. Nous étions aussi dans une démarche de santé communautaire avec les gens du quartier. On déployait des projets, dans les écoles par exemple. Une vraie réflexion sur les déterminants de la santé.

De vrais engagements sociétaux ?

J’étais déjà investie au niveau du mouvement étudiant en 2001,  notamment sur la question du numerus clausus. J’étais également au conseil d’administration de l’université, active à la Fédération des étudiants francophones. Par la suite, la Maison médicale de Saint-Gilles a créé une nouvelle antenne, à Ixelles, où je me suis également beaucoup impliquée.

Mais soigner n’était qu’une partie de votre pratique.  

Certes, Je me suis aussi intéressée à la pharmacologie, l’herboristerie etc.,  Mon questionnement : comment faire le tri entre tout cela pour avoir une pensée rationnelle et être sure de ne pas nuire au patient? Du coup, je suis lancée dans des études de biostatistiques. Je me suis également formée à l’épidémiologie ce qui m’aide beaucoup aujourd’hui.

En continuant à travailler à temps plein ?

Oui et j’ai aussi fait de la recherche et j’ai enseigné pendant un temps. Je suis d’ailleurs toujours responsable d’un séminaire à l’Ecole de Santé Publique qui porte sur l’organisation du système de santé. En 2008, j’ai fait deux recherches importantes : l’une sur les Maisons médicales au forfait et l’autre qui touche aux données disponibles, au  niveau bruxellois, sur les Maisons de repos et les Maisons de santé. Nous faisons là un travail pour l’Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale

Et la politique à ce moment-là ?

Tout cela m’amène peu à peu vers la militance politique. Je prends part au Parti et apporte ce savoir-là. Je deviens une interlocutrice crédible. On me propose la 6ème place sur la liste régionale en 2014. Une place dans les limbes. Ma place est symbolique et je semble plutôt apporter une nouveauté et mon réseau des Maisons médicales ce qui a surement plu à Laurette Onkelinx, attachée à cette symbolique des Maisons médicales par son passé liégeois.

« La politique chez nous revêt une certaine forme de permanence »

De quoi parle-t-on à table, le dimanche, lors des repas de famille avec maman Dupuis et papa Moureaux ?

On parle de politique. Mais quand il était sur les plateaux de télé, ce qui arrivait tout le temps, on ne regardait même plus. Ca devenait lassant (rires). Ceci dit, mes deux parents ayant été ministres, de manière successive, la politique était un sujet central dans nos vies mais surtout une réflexion macro et qui porte sur le travail de terrain ou les reformes de l’Etat[1]par exemple.

La politique chez nous revêt une certaine forme de permanence. Mais je vais vous avouer une chose que je n’ai jamais dit: l’actualité est une chose qui ne m’intéresse pas beaucoup. Je préfère les choses qui relèvent de la théorie et du fond. Je ne regarde pas le journal tous les jours. Par contre, mes parents, étaient des politiciens de l’actualité. Je ne suis pas rebutée par la politique mais je ne la vis pas comme eux.

Parlons un peu de Molenbeek et de cette période sombre qui a suivi les attentats de 2016. Etiez-vous surprise de ce que l’on découvrait ici ?

Surprise, oui !  Ce qui se passait en Syrie et la manière dont cela impactait nos jeunes ici.  Et quand je dis « nos jeunes » je parle plus généralement de Bruxelles, de la Belgique et de la France. La manière dont le conflit syrien est vécu comme un problème belgo- belge me révolte profondément. Certains politiques et même les médias étaient dans une forme de déni. Malgré les alertes des mamans qui voyaient leurs enfants partir là-bas. Je savais qu’il y avait un bouillonnement, un problème. On le savait et je n’étais pas la seule.

Des responsabilités politiques dites-vous ?

Oui, il faut reconnaitre les responsabilités politiques. Lorsque Molenbeek est devenu le « centre » de toutes les attentions, il y avait chez moi de de la surprise et un grand sentiment d’injustice.

Pour quelles raisons ?

Parce que cela est très vite devenu « anti Moureaux », anti PS, anti multiculturalité et rapidement anti Belgique pour le reste du monde. Puis déçue aussi car les Belges ont été incapables de se défendre. A chaque étage, tout le monde s’est démis de ses responsabilités, accusant Molenbeek comme seule responsable. C’était du règlement de compte politique d’une grande maladresse. Il fallait bien se défendre. Il y avait aussi des Français dans ces commandos! Le problème n’était ni exclusivement belge, bruxellois ou molenbeekois. C’était une aberration internationale.

Mais Molenbeek a nourri cela ?

Je ne nie pas les éléments socio-économiques, ni ceux qui relèvent des relations internationales ou même psychologiques mais tout cela a formé un tout qui a culminé et qui a été le terreau de ce désastre.

 

« Nous recevons encore et toujours la population parmi la plus pauvre de Belgique ».

 

Comment va aujourd’hui « la santé » de Molenbeek ?

Je sens une grande résilience dans la population, une capacité d’adaptation. La communauté elle-même semble s’être auto-pansée. Je parle ici de la communauté territoriale. cela a guéri pas mal de blessure. Dans l’actualité immédiate, nous avons une explosion de la pauvreté post-Covid. On a de grandes inégalités. Nous recevons encore et toujours la population parmi la plus pauvre de Belgique. Notre santé financière est précaire, aussi bien dans les ménages privés que dans la commune. Nos budgets sociaux ne cessent d’augmenter. Mais on ne parvient pas à faire face aux besoins de la population. Je demande un plan canal socio-économique[2]. Nous avons besoin d’une considération de notre situation telle qu’elle est aujourd’hui. Un habitat très dense, avec des familles en grandes difficultés, des familles en transit aussi. Nous œuvrons pour un renouveau du bâti, ce qui neutralise le spectre de la gentrification mais nous voulons aussi continuer à être la commune qui aide les sans papiers et les personnes les moins favorisées.

Sentez-vous, en tant que fille de Phillippe Moureaux, qui était particulièrement apprécié par les molenbeekois, que vous bénéficiez de cette affection que l’on reporte peut-être sur vous ?

Oui, Bien sûr. Une histoire d’amour se fait à deux. Il était aimé et il aimait les Molenbeekois.

Vous êtes assise dans son siège ?

Ce n’est pas le sien, c’est celui du maïeur de Molenbeek- Saint- Jean. Même si, c’est vrai, ce bureau je le connais depuis que j’ai 8 ans. Je me souviens de la plupart des meubles. Ces deux portes-là étaient souvent ouvertes (ndlr: elle désigne deux portes en chênes blancs face à son bureau). On ne les ouvre plus maintenant.

« Mes parents sont mes parents et moi, je suis moi. »

Il a travaillé ici pendant 20 ans. Il est quand même un peu ici, avec vous ?

Non, il est dans mon cœur, pas entre ces murs. Autre chose aussi, je n’ai jamais travaillé avec lui. Il occupe donc une autre place dans ma vie. Je n’ai jamais été politicienne avec lui. Ma vie à moi, lorsqu’il était ici, c’était la médecine. Je suis extrêmement fière de mes parents mais aussi de moi-même. Je ne me vis pas comme un prolongement de mes parents. Mes parents sont mes parents et moi, je suis moi. Donc, non il n’est pas ici. C’est moi qui y travaille même si parfois des gens franchissent la porte et me disent, avec émotion : « la dernière fois que je suis venue ici, j’étais avec votre papa et vous lui ressemblez beaucoup » ou « c’est très impressionnant pour moi » ce sont des phrases qu’il m’arrive d’entendre. J’aurais pu venir travailler avec lui mais, à l’époque, je ne voulais pas. Je voulais y trouver un sens pour moi et pas pour lui.

Quel a été le moment de basculement ?

Lorsque le projet socialiste s’est incarné pour moi et pour les gens. Mon choix est le fruit d’un long parcours intime et non pas parce que mon père l’aurait voulu.

Est-ce difficile d’être une femme bourgmestre ?

Je pense que oui. Pour la population, cela change la donne mais ce n’est pas une difficulté. Vis-à-vis du monde politique et des collègues, je dirais que c’est une différence très importante et cela reste très difficile.

Quelles visions pour la commune? Je vois des dizaines de dossiers sur votre bureau ?

Ça, c’est les 1000 logements que j’aimerais faire construire pendant ma législature. Un objectif ambitieux pour Molenbeek mais on va y arriver avec Mohammed Daïf, un homme formidable (conseiller communal PS à Molenbeek et président du Logement molenbeekois). C’est un travail de pilotage constant et les 1000 logements c’est vraiment du « dur ». Par rapport aux besoins des Molenbeekois, ce n’est pas du cosmétique ou de la com. Il y a aussi tous les chantiers sur les écoles, au niveau des bâtiments comme des moyens humains.

La  pédagogie ?

Oui, et je reviens là au fondement du socialisme. L’éducation comme levier d’émancipation. Quelle que soit la société ou l’époque, le levier principal reste celui de l’éducation. Pour emprunter l’ascenseur social autant que pour le créer. Ne plus être une victime. Ce sont des projets qui demandent des investissements de plusieurs millions et nous allons y consacrer jusqu’à 30.000 millions, ce qui est énorme pour nous. Reste aussi le budget du CPAS. Un budget que, non seulement nous ne parvenons pas à réduire, mais qui ne fait qu’augmenter. L’explosion de la pauvreté, malheureusement on la vit au quotidien à Molenbeek.

 

[1] Philippe Moureaux entre une première fois au sein d’un gouvernement dans l’équipe Martens III, en tant que ministre de l’Intérieur et des Réformes institutionnelles. Il devient ensuite ministre de la Justice dans les gouvernements Martens IV et Eyskens, jusque fin 1981.

 

[2] Région de Bruxelles-Capitale a initié le Plan Canal avec différents objectifs , dont la dynamisation de l’activité économique, la création de logements, l’amélioration des espaces publics et la promotion de la mixité  démographique.

 

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