Maxime Prévot, Bourgmestre de Namur : « En Belgique, on n’a pas le courage de parler de la politique migratoire comme on parlerait de n’importe quelle autre politique publique »

Cette semaine, Divercite.be a rencontré Maxime Prévot, Bourgmestre de Namur et Président du Centre démocrate humaniste (CDH). Il évoque la diversité dans sa ville de Namur mais aussi sa perception de la politique migratoire en Belgique. 

Divercite.be : Vous êtes un vrai wallon mais où avez vous grandi plus exactement ?

Maxime Prévot: Je suis un gaillard qui a beaucoup voyagé. Je suis né à Mons. Mon père venait d’une famille ouvrière de Charleroi. Mon grand-père était gardien de prison à Jamioulx. Ma grand-mère paternelle a travaillé dans une épicerie. Mon père a décroché un emploi d’informaticien au Luxembourg puis on est allés vivre au Grand-Duché où je suis allé à l’école. Par la suite, mes parents ont fait construire une maison près d’Arlon et lorsque mon père a demandé le divorce, ma mère a voulu se rapprocher de ses parents à Namur. J’ai eu une petite incursion de 3 ans à Eghezée lorsque j’ai quitté les études secondaires et finalement je me suis ancré dans ce beau territoire de Namur.

Finalement, vous connaissez Namur depuis votre enfance. Est-ce qu’il y avait une diversité ethnique à cette époque là ?

Oui, il y avait une diversité mais elle n’était peut-être pas ressentie de manière aussi forte qu’aujourd’hui. Je me souviens que la première communauté européenne présente à Namur était la communauté albanaise.

Pourquoi des Albanais à Namur à ce moment là ? 

La réponse qu’on m’a toujours fourni est que dans les années 1970, il y a eu pas mal de personnes qui sont arrivées à Jambes. Aujourd’hui,  8% de la population est d’origine étrangère à Namur. C’est moins qu’à Bruxelles mais plus que dans bien des communes rurales.

Vous avez commencé la politique comme échevin en charge de la politique sociale. Comment avez-vous vécu cette expérience ?

Je nourrissais vraiment le dialogue avec les communautés. On a toujours été très respectueux de leurs apprentissages scolaires, par exemple, et de l’accompagnement en français langue étrangère. On a d’ailleurs crée en Wallonie, il y a plus de 20 ans, le tout premier service de médiation interculturelle au sein de l’administration avec des employés albanophones, turcophones et d’autres qui viennent de communautés d’Afrique noire ou turque. On a d’ailleurs à Jambes, là où il y avait historiquement une concentration plus importante d’enfants d’origine albanaise, des personnes qui font l’accompagnement scolaire. Dans nos quartiers, on a toujours veillé à avoir du personnel mixte. L’intégration par l’emploi est aussi très importante.

Comment organisez vous la question du culte ?

On a trois mosquées. Si je le dis aux Namurois, certains vont tomber des nues parce qu’ils ne sont pas au courant qu’elles existent alors qu’elles sont là parfois depuis des décennies. Elles sont discrètes. Ce ne sont pas des lieux à problèmes. Ce sont des dialogues très positifs que l’on nourrit avec les imams que je rencontre et c’est positif. Pas plus tard qu’en 2018 et 2019, deux dossiers de demandes de permis d’urbanisme pour un nouveau Centre culturel et cultuel ont été introduits. La ville, dont la majorité politique est composée du CDH, du MR et d’ Ecolo a soutenu les deux dossiers. Il ne faut cependant pas se voiler la face, cela a suscité pas mal de réactions craintives et injustement d’ailleurs de la part de citoyens qui connaissent mal le mode de fonctionnement de ces Centres cultuels et qui donc les fantasment.

Il vous a donc fallu convaincre les namurois ?

Exactement, il fallait leur expliquer qu’eux aussi sont des habitants de la ville et que si nous voulions lutter contre le radicalisme il fallait offrir des lieux respectueux de leurs convictions.

Les dossiers ont été acceptés ?

L’un des deux l’est, le deuxième doit être refait. On a aussi un Centre d’action interculturelle financé par la Région. On a un bon dialogue avec les communautés mais je crois que le premier défi d’un bourgmestre est de ne pas réduire les communautés à leurs origines. Ce sont d’abord des Namurois. Ils contribuent à notre dynamique sociale et à sa dynamique économique. Certains ont bien réussi, d’autres ont besoin d’être épaulé. Ceci dit, je ne fais pas dans l’angélisme. Il y a aussi des chocs culturels parfois.

Vous êtes en faveur du parcours d’intégration sociale ?

Lorsque j’étais ministre en charge de l’action sociale, j’ai fait  voter un décret qui impose l’apprentissage de la citoyenneté et du français dans le cadre d’un parcours d’intégration. Celui-ci est désormais obligatoire avec une vingtaine d’heures d’apprentissage à la citoyenneté et aux droits et devoirs en Belgique.  On a également imposé une obligation d’un certain nombre d’heures de Français.  J’ai toujours dit que ce parcours d’intégration obligatoire ce n’est pas une punition. C’est vouloir donner les outils d’intégration qui passent par une meilleure maitrise de langue. J’ai souvent été frappé dans mon parcours par  le fait que beaucoup de mamans et de papas qui ne maîtrisaient pas suffisamment le français ne savaient pas accompagner les devoirs des enfants à la maison.  C’est aussi le cas pour trouver un emploi. Même si les qualifications sont là, ne pas savoir s’exprimer en français est un motif utilisé pour ne pas leur permettre de travailler. En rendant ce parcours obligatoire, certains ont poussé de grands cris mais je reste persuadé que ce sont les règles de bases.

Que pensez vous de la politique migratoire de Sammy Mahdi ?

Honnêtement,  j’ai toujours dit que ce qui nourrit les extrêmes c’est qu’on n’est pas le courage, en Belgique, d’oser parler de la politique migratoire comme on parlerait de n’importe quelle autre politique publique. La politique migratoire c’est un pan de l’autorité publique qui régule aussi des éléments essentiels de cohabitation. On doit assumer une vraie politique migratoire sans tomber ni dans un excès, ni dans l’autre. Au CDH, nous sommes opposés au Centre fermé pour mineurs. La place des enfants n’est pas derrière des barreaux. Je l’ai longuement évoqué lors des négociations gouvernementales. Une ligne rouge qui ne doit pas être franchie. Je pense aussi que si le regroupement familial peut être légitime, il doit aussi être limité. Si on élargit beaucoup trop le principe de regroupement familial, alors on a une rupture d’adhésion de la population à la politique migratoire.

Vous évoquiez à l’instant  « les excès qui pourraient y avoir dans la politique migratoire », que voulez-vous dire par là ?

Je pensais à cette idée que l’on doit accueillir tout le monde sur le territoire ou, d’un autre côté, être dans une démarche de retour aux frontières en créant des murs. Vous savez, la politique migratoire est aussi noble que nécessaire. Humainement, culturellement et économiquement. Le fait d’avoir entouré de tabous cette politique ou de l’avoir abordée seulement à renfort de caricatures ne sert personne.

Tout cela serait-il dû à un problème de communication ?

Pas uniquement de communication mais aussi de compréhension. La classe politique belge n’assume pas suffisamment ce que peut être la valeur ajoutée, dans une dynamique sociétale, des personnes ayant des parcours migratoires qui sont différents.  Le 21ème siècle sera un siècle de flux avec notamment les changements climatiques. Alors on a deux manières de réagir :  soit on se referme sur son territoire en estimant que celui-ci ne doit en aucun cas être violé, soit on est dans une démarche ou, sans être totalement permissif, on accepte l’échange.

Demain,  vous êtes à la tête d’un gouvernement, que mettez-vous en place pour harmoniser les choses ?

En Belgique, nous sommes un pays où nous devons composer avec d’autres forces politiques mais si j’avais la totale plénitude, mon champ d’actions serait certainement très exigeant sur la réduction des délais. Il est normal qu’il y ait des refus qui soient adressés à une série de demandes, c’est très clair. Ce qui n’est pas normal c’est qu’il faille des années pour être fixé sur son sort. Une fois que l’autorité a tranché, les décisions doivent être appliquées immédiatement. A force de ne pas mettre en œuvre les demandes qui sont formulées de quitter le territoire, on se retrouve avec une rupture d’adhésion de la part de la population à l’égard de la politique qui se traduit par un rejet des personnes. Une politique migratoire bien acceptée par les citoyens sera le gage de la meilleure solidarité et intégration des personnes demandeuses du titre de séjour. Sinon, on se trompera en permanence.

Pour vous donc, la rapidité de prise de décision et leurs applications immédiates offriraient une perception plus claire de la situation migratoire à nos concitoyens ?

Si on veut éviter une rupture entre nos concitoyens et la politique, il faut qu’on évite les excès. On ne peut pas être dans un schéma où les gens qui sont invités à quitter le territoire continuent de faire semblant de ne pas le voir et restent des années. Ceci dit, il y a des motifs pour lesquels je trouve excessif de refuser l’accès sur le territoire. Bien sûr, le chantage ne peut pas être une arme d’action mais il y a un désespoir profond pour des personnes qui sont là parfois depuis 15 ou 20 ans. Les enfants sont scolarisés,  les parents travaillent et on ne reconnaît pas le droit de pouvoir simplement continuer d’être présent, sans la peur  pour eux, à chaque fois, d’être renvoyés au pays. Je pense qu’il y a moyen de réduire les délais dans une démarche où on régularise et où se donne la peine de réétudier le vécu des gens.

C’est déjà le cas aujourd’hui. Pas assez selon vous dans le chef du secrétaire d’état à l’asile et au migration ?

Je ne voudrais pas, parce que je suis dans l’opposition, tomber dans la démarche simpliste de tout critiquer. La ligne de conduite de Sammy Madhi peut se comprendre sur certains aspects et sur d’autres nous sommes plus nuancés. Mais on sait qu’il est aussi poussé dans le dos par l’opinion publique flamande qui n’est pas la même que celle des Francophones.

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