Métis de la colonisation : La face honteuse de l’histoire belge au Congo !

Les métis, les enfants oubliés de la colonisation belge, parlent, racontent, et de plus en plus, l’injustice qui fut la leur. Aujourd’hui, le métissage fait partie de notre société. Il est une richesse et souvent perçu comme une chance, celle de conjuguer plusieurs origines, plusieurs histoires. Mais ce qui nous parait être en 2022 d’une grande normalité, n’a pas toujours été le cas dans notre histoire contemporaine. Il y a quelques décennies encore, après l’indépendance du Congo, du Rwanda et du Burundi, on ne parlait pas vraiment de «métis », mais de «mulâtres ». Un nom espagnol qui désigne un équidé, croisement d’un cheval et d’une ânesse.

À l’époque du colonialisme, il était encore question d’une supériorité de la race blanche. Les enfants nés d’un couple mixte ne pouvaient, aux yeux des colonisateurs, rester entre les mains de leurs mamans africaines. Ils furent alors enlevés à elles pour être d’abord placés dans des internats avant d’être confiés à des familles d’accueil en Belgique. 

 divercite.be a rencontré Charles François Géradin Administrateur  et co-fondateur de l’Association Métis de Belgique.

 

Entretien : 

 divercite.be : Qui êtes-vous Charles Geradin ?

Je suis né en 1944 au Congo belge, d’un père belge, dont je porte le nom, et d’une mère rwandaise. Je suis donc un métis. J’ai vécu au Rwanda, j’y ai étudié. Un jour, on a proposé à ma mère que j’aille en Belgique pour y être scolarisé. Elle a refusé, mais il y avait une telle pression autour des mères pour qu’elles laissent partir leurs enfants que, souvent, elles n’avaient pas le choix. On me place donc dans un institut à Save et ma mère vient me voir souvent, c’est une chance que n’auront pas tous les enfants. Beaucoup d’entre elles étaient chassées par les sœurs blanches de l’institut lorsqu’elles tentaient de venir voir leurs enfants.

Comme beaucoup d’enfants, j’ai ensuite été placé dans une famille d’accueil en Belgique, mais avant cela j’ai passé quelques temps au Burundi, à Bujumbura, dans un collège jésuite qui s’appelait le collège du Saint-Esprit. J’ai eu la chance, à la différence d’autres enfants, d’avoir connu mon père et ma mère.

divercite.be : Parlez nous de cette première période de l’histoire du Congo et ce qui a initié l’arrivée d’Européens.

Charles François Géradin : En 1908 le parlement belge accepte l’annexion du Congo à la Belgique et L’État indépendant du Congo devient le Congo belge, une vraie colonie. En ce qui concerne, les deux royaumes du Rwanda et du Burundi occupés et administrés par l’Empire allemand, ils seront militairement occupés par la Belgique lors de la première guerre mondiale de 1941-1918, et seront ensuite confiés à la Belgique par la Société des Nations pour devenir plus tard des territoires sous tutelle confiés par l’ONU à la Belgique.

Ils seront administrés sur le même modèle que le Congo belge. Pour l’occupation, l’exploitation, la mise en valeur du Congo et la domination et la soumission des populations, tant l’État indépendant du Congo que la Belgique ont fait appel à des hommes recrutés en Belgique, en Italie, en Pologne, au Danemark , en Suède , au Luxembourg et ailleurs.

divercite.be : C’est alors la rencontre de ces Européens avec les Africaines.

Charles François Géradin : Exactement. Quelques-uns de ces hommes blancs souvent célibataires, simples soldats, agents ou hauts fonctionnaires et même religieux, ont eu ou entretenu des relations sexuelles consenties ou forcées, éphémères ou durables avec les femmes congolaises, burundaises et rwandaises. De ces relations sont nés des enfants ni blancs, ni noirs, mais blancs et noirs à la fois, appelés « mulâtres – mulâtresses » ou plus généralement « métis et métisses ».

divercite.be : Pourquoi l’état belge a-t-il décidé de vous soustraire de votre maman biologique ?

Charles François Géradin : Pendant la période coloniale, nous étions considérés et identifiés comme des « dangers potentiels », un ennemi de l’intérieur, une menace au profit et au prestige de la race blanche. Il fallait à tout prix se méfier de nous, nous contrôler, nous soumettre, nous rendre redevables pour que nous ne devenions pas un jour l’élément subversif capable de conduire la révolte des colonisés.

Tout a été mis en œuvre pour réduire nos naissances et limiter une quelconque influence que nous pourrions exercer sur les Noirs. Bien qu’une telle attitude se soit souvent heurtée à un élan d’humanisme, les considérations d’ordre politique ont toujours pris le dessus. La question « Métis » était devenue une affaire d’État, et ce jusqu’à la veille des indépendances du Congo, du Burundi et du Rwanda.

divercite.be : Plus de 60 ans après l’indépendance du Congo, l’état belge a -t-il enfin reconnu cette ségrégation ciblée et la politique des enlèvements dont vous avez été l’objet ?

Charles François Géradin : Une série de résolutions ont en effet été votées au Parlement Francophone Bruxellois, au Parlement de la Fédération Wallonie Bruxelles, au Sénat et à la Chambre des Représentants. Dans une déclaration solennelle et mémorielle prononcée par le Premier ministre belge Charles Michel le 4 avril 2019. Néanmoins, il est important  de rappeler que la résolution relative à la ségrégation subie par les métis issus de la colonisation belge en Afrique ( c’est son titre) votée à l’unanimité,  dit que : « la Chambre des Représentants reconnaît la ségrégation ciblée dont les métis ont été victimes sous l’administration coloniale du Congo belge et du Ruanda-Urundi jusqu’en 1962 et suite à la décolonisation, ainsi que la politique d’enlèvements forcés y afférente ».

Elle concerne donc tous les Métis nés sous l’administration coloniale belge sans exclusive. Elle concerne les enlèvements forcés opérés en Afrique et pas uniquement celle qui a eu lieu entre 1959 et 1962 pour les Métis au départ de l’orphelinat de Save au Rwanda. Pour certains Métis c’était un deuxième enlèvement.

 

 (Photo par AFP)

 

« On ne dit pas assez qu’au-delà de la ségrégation et des enlèvements forcés, nous avons surtout été victimes des préjugés tenaces et de la perception qui les accompagne et dont certains subsistent aujourd’hui. »

divercite.be :Comment peut-on définir le drame que les enfants métis ont connu, arrachés à leurs mères souvent en très bas âge ?

Charles François Géradin : Nous avons été victimes des mensonges de l’isolement physique et mental, du déni des droits de nos mères qu’on a voulu effacer de nos mémoires, de la négation de notre dignité, de notre identité, de notre être. Cela laisse des séquelles qui ne s’effacent pas, qui ne se réparent pas. Cela laisse des blessures , les blessures cachées de la colonisation ( c’est d’ailleurs le titre du film de François Milliex). Ces blessures, nous les portons tous, reconnus ou non, déplacés du Rwanda ou non.

On nous a tué à petit feu sous divers prétextes et peut-être espère-t-on aujourd’hui que nous disparaissions les uns après les autres pour tourner définitivement la page, pour en être quitte de cette page peu fière d’une puissance colonisatrice aux vertus judéo-chrétiennes. Tant de signes nous l’indiquent et notamment les atermoiements et les dérives, les preuves qu’on nous réclame pour prouver qui nous sommes, quand sommes nous nés, etc. en vue d’une hypothétique réparation de façade.

divercite.be :Vous êtes co-fondateur et administrateur de l’Association des Métisses de Belgique, quelles sont vos attentes aujourd’hui vis à vis de l’Etat belge ?

Charles François Géradin : L’accès aux archives. Il faut libérer toutes les archives pour que quiconque est besoin d’avoir des informations sur cette période de l’histoire puisse y avoir accès et plus particulièrement les métis comme leurs descendants.

 

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