Portrait de Lydia Drama, psycho-traumatologue : « Il y a des évènements qui sont impossibles à affronter seul »

Lydia Drama a 45 ans. Mère de 6 enfants « parce que c’est important pour moi de prendre un enfant un peu partout là où je vais » est, ce qu’on appelle, une psycho-traumatologue.

Lydia fait partie de ceux à qui on fait appel lorsqu’une cellule psychologique est organisée après un attentat, une catastrophe naturelle, un incendie, un accident… Née au Congo, encore Zaïre, en 1977, Lydia Drama est issue d’une famille favorisée africaine. Elle apprend le français lorsqu’elle est encore petite et c’est un chauffeur qui la conduit à l’école tous les matins. Le désir de réussite dans sa famille est tel que lingala, le dialectique parlé par les habitants de la région du fleuve Congo, était proscrit.  Elle l’apprend en observant et écoutant parler les employés de maison.

«Je viens d’une culture où l’on doit appliquer la restitution des choses»

Pour Lydia, arrivée à l’âge de 10 ans à Bruxelles, la pratique de l’échange, de la restitution telle que connue dans son pays de naissance est quasi inexistante en Belgique et cela l’intrique, la questionne profondément : »En Afrique, quand tu vas cueillir un fruit, tu dois parler à son arbre car tu lui prends quelque choses. Ici, tu donnes, tu entres dans un moule mais rien ne t’est restitué en retour ».

La fibre sociale dès l’âge de 5 ans : « Lorsque le chauffeur me conduisait à l’école, je voyais sur le chemin des enfants marcher pieds nus. A la maison, j’avais plein de chaussures et je ne comprenais pas pourquoi d’autres n’en avaient pas du tout » confit-elle avant de poursuivre »  En Afrique, si tu as les pieds petits et fermés c’est que tu as mis des chaussures et s’ils sont grands et ouverts c’est que tu en as été privé. Alors, chaque jour, la petite Lydia décidé au retour de l’école d’offrir sa paire de chaussures à un enfant dans la rue.

Pour soigner les traumatismes, l’hypnose n’est pas adapté à tous.

Devenue adulte, Lydia Drama choisit des études sociales et se spécialise dans le suivi des patients victimes de traumatismes. Dans la prise en charge, différentes méthodes peuvent être appliquées selon la personne à traiter. Dans les communautés musulmanes par exemple, l’hypnose est impossible à mettre en place car considéré comme de la sorcellerie. Une sorte d’appel au djinn, de porte ouverte permettant à l’esprit malin de prendre le contrôle de l’individu. Lydia, pour contourner cet interdit, utilise plutôt un son continu, comme le battement à la mesure d’un baguette sur la table. Le son répétitif et cadencé place le patient dans une état de relâchement. La photo-thérapie est aussi un autre support possible. Des clichés de vie sur l’avant et l’après traumatisme. Une recontextualisation qui permet à la personne de se rappeler celle qu’elle fût et de ressentir autrement celle qu’elle est.

Lydia, dans la Maison médicale qui l’emploi, dans une commune populaire de Bruxelles, traite des personnes qui viennent du monde entier. Des primo arrivants, des migrants sans papiers, des exilés, des hommes comme femmes. Ils arrivent d’abord pour des soins médicaux puis, si c’est nécessaire, elle prend le relais pour l’aide psychologique.

Des personnes qui perdent les jambes après avoir marché sur une mine antipersonnel ou des grands brulés, des femmes victimes de violences conjugales ou des familles endeuillées après la mort d’un proche, Lydia Drama prodigue ses soins avec peu de mots mais beaucoup de compassion. Elle reconnait que c’est le b.a-ba de la prise en charge psychosomatique. A l’image de la couverture que l’on pose sur les épaules des sinistrés  » symbole de réconfort et de chaleur ».

Les sans-abris font également partis des patients qu’elle accompagne. Souvent traumatisés par des situations de vie aussi multiples que complexes. Les gens qui gagnent la rue le fond après un choc brutal (licenciement, divorce, deuil, alcoolisme…).

. (Photo by Yasuyoshi Chiba / AFP)

Un travail de dentelière…

Lydia reconnait que son travail au quotidien exige des précautions extrêmes. Demander à l’autre de se replacer dans une situation douloureuse est à faire avec égard et délicatesse.

Le travail de soutien psycho-traumatique permet d’aller petit à petit au fond sans tout « ouvrir d’un seul ». Il n’est pas demandé au patient de revisiter son enfance ou sa vie d’avant mais juste de mettre des mots pour que les maux n’adoptent pas, à plus ou moins long terme, un autre langage.

Le traumatisme, précise la victimologue, survient parfois dans la vie d’une personne qui allait très bien jusque là. La psycho- traumatologie intervient quand les protections naturelles de l’individu facent aux chocs de la vie, ne fonctionnent pas ou sont mises à l’épreuve.

Personne n’est prête à affronter une situation d’horreur qui le touche ou touche l’un de ses proches. Même si dès l’enfance on apprend à se protéger, il y a des évènements qui sont impossibles à affronter seul. Ma seule limite, dit-elle, ce sont les enfants. Leurs souffrances me touchent beaucoup trop pour avoir le recul nécessaire à la prise en charge.

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